Je vous ai déjà raconté que depuis son hospitalisation, Martine a une nouvelle amie. Je l’ai appelé Yvonne dans ce billet.

Dans la vraie vie son prénom est le nom de Martine, mon nom de jeune fille qui est un prénom, z’avez qu’à suivre !

Yvonne est plus jeune que Martine, pourtant elle l’appelle ” ma petite sœur ” et prend soin d’elle comme si c’était le cas. Elle lui rappelle ses RV à l’hôpital, vérifie que Martine n’a pas oublié la moitié de son dossier, sert d’intermédiaire quand Martine n’entend rien ou est mal reçue : quand Martine est allé faire changer ses lunettes, Yvonne a houspillé l’opticienne : ça ne vous viendrait pas à l’idée de faire assoir mon amie ? Vous ne voyez pas que c’est une personne âgée ?
Yvonne est maintenant invitée avec la tribu à chaque anniversaire de Martine.

Yvonne m’aime bien. Elle me préfère à mes sœurs. Sans doute parce que je suis plus calme, ni pressée, ni stressée et que je papote avec elles deux. Elle me trouve ouverte et gaie, et puis elle apprécie le fait que je m’occupe autant de ma mère. Et aussi le fait que je sois célbataire, avec des filles loin de moi et pas triste pour autant. En même temps, je sens que tout comme ma maman, cela lui donne envie de me protéger, qu’elle pense que je mérite plus d’attention que ma fratrie et c’est plutôt mignon.

Un jour je propose à Martine et Yvonne de venir prendre le thé chez moi. Yvonne est ravie, cela la sort un peu. Je les retrouve chez Martine et je les emmène en voiture.

Yvonne est toujours très élégante, grande et mince, elle ne ressemble pas du tout à Martine. C’est une femme très posée, très discrète. J’ai aimé sa vision des choses et sa façon de parler. Nous parlions de restaurant et elle me dit :

- Avant j’allais au restaurant seule. Et à chaque fois on me mettait dans un coin au fond, près de toilettes ! Mais enfin si je sors c’est que j’ai envie de voir du monde ! On dirait que dès qu’on est vieux et seul, on a plus le droit d’exister ! On dirait que l’on est punie !

Je lui dis qu’elle est bien gentille, que moi je n ‘accepterai pas d’être reléguée près des toilettes ! Et si vous disiez ce que vous venez de me dire : quand on est seul on veut voir du monde ! Sans doute que ça clouerait le bec à la jeune serveuse !

Plus tard nous parlions du célibat, de la difficulté de rencontrer. Elle me demande : vous ne pensez pas que c’est plus facile en province ?
Je dis oui et je suis même étonnée qu’elle le pense. Elle dit :
- Je crois que les gens se connaissent plus.

Je ne suis pas tellement d’accord avec ça : connaître tout le monde pour moi cela a l’effet contraire ! Le même que lorsque l’on dit : je vois toujours les mêmes amis, les mêmes couples, les mêmes collègues, du coup je ne rencontre personne !
Et puis je sais aussi que la province est un bien joli mot, mais bien vaste aussi : tout dépend où l’on va, il y a des endroits où c’est très difficile de se faire des amis.

- Je le pense pour d’autres raisons : je pense que les gens sont moins difficiles sur le physique. Le look, la ligne, le paraître ça compte moins.

Parenthèse : J’ai déjà raconté ici combien mes sœurs et moi, jeunes, étions ravies d’avoir un tel succès à Petite Ville du Sud, alors qu’en Ile de France nous n’avons jamais été les reines du bal. Pas moche non plus, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Mais comme beaucoup de monde : dans la moyenne.

Plus tard nous allons faire un tour en voiture, je leur montre les étangs et la forêt. Yvonne parle de la solitude, elle dit :

- Je ne me plains pas. Si on parle trop on lasse les gens, et puis il y a toujours plus malheureux que nous. Mais c’est difficile quand on a vécu des années avec quelqu’un de bien ! Ce n’est pas parce qu’il est mort que je dis qu’il était bien, mais il était vraiment bien !

Soupir de Martine qui pense la même chose… Sauf que Martine se plaint plus souvent.

- Ma fille Louisianne (oui sa fille s’appelle comme moi) me dit souvent :  ” mais maman il y a des gens qui n’ont jamais connu ça ! “

Martine rit : ma Louisianne aussi elle me dit ça !

Je dis : oui je lui dis ça : moi je n’ai jamais connu ça, ne te plains pas maman !

Yvonne dit : oui c’est vrai ! On ne se rend pas compte la vie est injuste ! Souvent ceux qui mériteraient ne trouvent pas !

J’ai aimé cette façon de penser ! C’est tellement rare !
En général les gens vous abreuvent de conseils, voire vous font des reproches : trop difficile, trop gentil, trop ceci, trop cela, et ce n’est pas Gwenaël qui dirait le contraire puisqu’on lui dit souvent !  Alors que ceux qui disent ça ne vous connaissent même pas vraiment !

Et j’ai aimé aussi cette façon de dire : je ne me plains pas. Moi je la plains et je trouve ça très triste. Sa fille vit à New York, elle n’aura pas d’enfants. Je trouve ça triste pour elle et pour tant d’autres veuves. Elles ont une belle vie mais la vie n’est pas finie, elle pourra être encore longue.
Elles n’ont pas envie d’en finir, mais elles ne remplaceront jamais celui qui est  parti.

Il me reste au moins l’espoir, et je n’ai pas dans mon cœur le fantôme d’un conjoint que je ne sais pas enterrer.
Mais si un jour d’ici une vingtaine d’années, je me retrouvais dans la même situation, je ne sais pas si j’aurais encore mon optimisme.

Quand je l’ai déposée à Ville Natale, il faisait beau. Elle m’a dit de la laisser chez Martine : je vais rentrer à pied. Quand il fait beau comme ça, je n’ai pas envie de rentrer trop tôt, j’aurais l’impression d’être punie si je rentrais déjà !
Je me dis qu’elle est bien plus seule que Martine qui a toujours de la visite. Martine a cette chance de plus en plus rare d’avoir tous ses enfants et aussi beaucoup de ses petits enfants qui ne vivent pas loin.

Cela me laisse un vide au cœur. Et je me dis que peut-être c’est ce qui m’attend un jour.