Il m'arrive de temps en temps de plonger dans la boîte aux souvenirs. En fait il y en a plusieurs de ces boîtes où je range les lettres reçues. Je ne sais pourquoi j'ai perdu le vieux sac à main où j'avais rangé mes lettres d'enfants. Peut-être l'ai-je jeté, mais ça m'étonnerait, ce n'est pas mon style. Je le regrette encore ce vieux sac !
Je plonge dans le passé. Morceau de vie, mémoire d'une époque. Je m'en souviens comme si c'était hier de la lettre d'une amie alors qu'elle déménageait pour Bordeaux et me racontait sa nouvelle vie. Et bien sûr dans cette lettre, dans les autres, des réponses aux miennes, des passages qui me rappellent où j'en étais à ce moment là...
Ça t'a changé d'avoir un bébé ? Aime tu ta nouvelle maison, tu as bien fait de rompre avec X. Donc tu as apprécié ton voyage ?
Une belle carte d'un ex sur laquelle je tombe régulièrement. En général, je n'ai rien gardé de mes ex, sauf si la missive me flattait (orgueil quand tu nous tiens !) D'ailleurs ce n'est pas forcément un ex, ça peut être la déclaration enflammée d'un dont je n'ai pas voulu. Et que j'ai du relire un soir où mon ciel était trop gris !
Cette carte là a échappé au massacre et à chaque fois que je la retrouve je sais pourquoi elle a échappé au massacre : sur l'enveloppe l'écriture est presque la même que celle de mon ami d'enfance. Et à chaque fois je me demande pourquoi elle est là, et pas dans l'autre boîte bleue où sont rangées toutes les lettres, les photos ou autre souvenirs de mon ami. Puis j'ouvre la lettre et je constate que c'est un ex. Je la relis et à chaque fois je n'ai pas le coeur de la jeter. Voici quelques mots :
Je t'écris pour te dire que je ne viendrais pas à la soirée organisée par ton frère. C'est trop dur pour moi. À chaque fois je suis là parmi vous, avec toi et j'ai l'impression que tout est comme avant. Je te vois et tu n'es plus avec moi, tu n'es plus à moi. Dis à tes soeurs et à ton frère que je les aime et que je suis désolé.
Voilà pourquoi je ne la jette pas. Pourtant finalement il était venu quand même à cette soirée, le coeur est parfois faible !
Une autre lettre d'une amie (ou soi disant telle), après un repas d'anniversaire, celui de mes 23 ans. Des années après quand je la relis, je sens la colère revenir intacte. Elle me reprochait dans cette lettre de l'avoir placé à table à côté de moi, et critiquait allègrement mes amis et ma soeur. En effet ils avaient eu le tort de s'amuser et de mettre l'ambiance. J'avais placé à côté de moi les amis qui ne connaissaient personne afin qu'ils soient plus à l'aise. Et mon amie avait fait la tête toute la soirée, heureusement qu'elle n'était pas à côté de moi finalement.
Mais si la colère revient en lisant cette lettre ce n'est pas tant la lettre elle-même que ma réaction qui me revient. Je n'avais pas répondu, je lui en avais parlé en la voyant, mais en haussant les épaules "tu ne t'es pas amusée, tant pis pour toi, les autres au moins ils parlaient !".
Je regrette encore aujourd'hui de n'avoir pas à mon tour écrit une lettre ! Je pourrais même l'écrire là, tout de suite ! Lui dire que c'est très mal élevé de faire des reproches quand on a été invitée, que d'ailleurs je ne l'inviterais plus ! Lui dire qu'elle n'a pas à critiquer mes amis, de quel droit !
Parfois on regrette de n'avoir pas su réagir !
Et puis il y a aussi les lettres que j'ai écrites. Quand j'étais très jeune, j'écrivais mon journal tous les jours et de temps en temps, j'écrivais une lettre, une sorte de résumé à mes amies de l'époque. C'était le temps du narcissisme, miroir mon beau miroir ! La lettre était un miroir, l'interlocuteur comptait peu en somme, d'ailleurs y avait-il beaucoup de mots pour s'enquérir de l'autre ?
Ces lettres résumés, j'aime bien les relire, elles étaient peut-être destinées à moi finalement ? C'est moins fastidieux à lire que le résumé heure par heure du journal de mes 13 ans.
Car je garde un double de tout ce que j'écris. Exercice physique du temps où j'écrivais encore au stylo plume, (ah ! l'encre bleue des mers du sud, mes stypen de toutes les couleurs et cette bosse au majeur droit qui a disparu alors que j'aurais cru qu'elle ne partirait jamais "la bosse de l'écrivain" !)
Plus facile de garder des doubles maintenant que je tape tout et que j'imprime (sauf la signature bien sûr).
Mon journal j'ai cessé de l'écrire, progressivement, surtout bien sûr une fois que mes filles ont pris tout mon temps. Seules quelques lettres restent, mais plus rares. Autre période, autres souvenirs. Mais mes correspondants aussi se faisaient plus rares, amies perdues, mères trop occupées.
Les mél ont remplacé les lettres. Le mél a de bons côtés, c'est très rapide, on répond tout de suite. En même temps c'est un peu dommage, c'était bien agréable de recevoir une belle lettre ! Maintenant même pour les anniversaires on reçoit une carte virtuelle, ça n'a pas le même charme !
Mais moi aussi j'écris moins. Parce qu'avec le temps je trouve effectivement la lettre trop "miroir". Il n'y a pas vraiment d'échange. Comment vas-tu ou quelque commentaires sur la lettre qu'on a reçue, (encore faut-il qu'il y en ait eu une) mais sinon comment être attentif à l'autre dans une lettre ?
Bien sûr il y a toujours les cartes de félicitations, d'anniversaire, les petites cartes postales, mais c'est une juste une pensée fugace qui s'envole vite, une envie de faire plaisir un court instant.
J'écris encore et j'y mets un point d'honneur dans un cas précis : un deuil. Je m'applique à faire une belle lettre manuscrite, cette fois, et si possible en évoquant des souvenirs de la personne disparue. Quand ça nous arrive, ces lettres font plaisir, et pour une fois elles sont vraiment une attention.
L'autre raison pour laquelle j'écris moins est que j'ai grandi. Quand j'étais timide, ça m'arrangeait souvent une lettre. Plus facile de régler ses comptes, de faire des reproches par écrit ! Ah ! ça j'en ai écrit de ces lettres, et même beaucoup que je n'ai heureusement pas envoyées !
Mais plus tard je me suis rendue compte qu'il y avait de la lâcheté là dedans. Maintenant je n'ai plus peur d'affronter l'autre, même si parfois il faut se forcer un peu. À une époque chaque fois que j'étais tentée d'écrire je m'interrogeais sur mes motivations : si c'est par lâcheté, ma vieille tu oublies !
Il reste les lettres d'amour ! Les seules que j'espère écrire un jour, écrire et recevoir bien sûr ! Quoi de plus merveilleux que de reconnaître l'écriture de l'être aimé sur une enveloppe !
Là c'est sur je ressortirais mon encre bleue des mers du sud. Et même peut-être, oh ! quel courage, mon porte plume et mon encrier d'encre violette !