Village of Arraincourt

J’étais encore une petite fille quand mes parents ont acheté la Sauvageonne.

À l’époque nous allions encore chercher du lait à la ferme. J’aurais bien aimé que mes filles connaissent ça !
C’est ainsi que nous avons connu les fermiers, M. et Mme Vachelaitière. Ils étaient un peu plus âgé que mes parents, et il y avait aussi le grand père, trop drôle avec son accent à couper au couteau.

Un jour, il demande à mon frère, qui avait à peine 6 ans : “alors vous venez chercher le lait”, celui ci qui n’avait rien compris, lui répond : “non, non”. Nous n’avons pas connu longtemps ce petit papy qui est mort peu après.

Il est vrai que c’est une autre époque. Ces gens charmants devaient se “forcer” pour parler avec nous. Ils parlaient tout le temps le patois, à l’époque, on ne disait pas encore “occitan”. Parfois il y avait une phrase en français, la suite en patois. Mon père comprenait un coup sur deux. Je me souviens particulièrement d’une anecdote :

Nous étions dans la voiture, Martine, Camomille, Cédric et moi, en train d’attendre mon père qui discutait avec Alphonse Vachelaitière et quelques amis à lui. Les hommes racontaient visiblement des blagues et se battaient presque pour raconter chacun la leur. À la fin de chaque blague, ils éclataient de rire. Mon père riait aussi aux larmes, alors que nous ne comprenions pas un mot de ce qui se disait !

Quand mon père remonte dans la voiture, nous lui demandons si il a compris quelque chose, il nous répond : non rien du tout !

Alphonse était aussi maçon en plus d’être agriculteur. Ma chambre à la Sauvageonne, n’en était pas une, c’était une cave. C’est lui qui a fait la maçonnerie, les joints, l’intérieur, j’y pense souvent quand je la vois. Juste après il a eu un très grave accident de travail, et n’a jamais pu exercer son métier de maçon.

C’était eux qui veillaient sur la Sauvageonne quand nous n’étions pas là. C’était Alphonse qui s’occupait de faucher l’herbe, jusqu’à ce que sa santé ne lui permette plus. Tous les ans, Alberte son épouse, écrivait à ma mère, une jolie lettre à l’ancienne pour le jour de l’an.

Ils font partie de ces gens que l’on retrouvait à la messe du village, les hommes d’un côté les femmes de l’autre. Quand mon père venait le saluer en entrant, ou saluer sa femme, il y avait toujours le début du mélange des genres. Eugène et Martine s’asseyaient côté hommes ou côté femmes, mais ensemble. Puis quand l’église se remplissait, tout le monde se mélangeait et ça ne se voyait plus.

J’allais souvent avec mes parents chez eux boire un apéritif, un café, une prune. Alphonse m’aimait bien car je prenais un ricard, ce qui pour chez les femme de sa génération était plutôt rare ! Quand Eugène est mort, et que j’emmenais Martine, il me resservait tellement de ricards, que je me demandais si je pourrais conduire jusqu’à la Sauvageonne, pourtant à 2 kilomètres !

Quand je me suis mariée, je leur ai présenté mon mari. Alphonse m’a dit qu’il était content que j’épouse un gars du pays ! Alberte et les autres femmes du village ont décoré l’église et mis les traditionnels cyprès décorés à l’entrée de la Sauvageonne. J’en ai pleuré d’émotion.

Quand Eugène est mort, ils ont tous les deux pleuré à chaudes larmes. Alphonse passait souvent, seul à la Sauvageonne boire un verre avec mon père.

Un jour ma sœur et moi seules à la Sauvageonne avec nos enfants avons eu un grave problème avec une fuite de lavabo. Alphonse, prévenu, nous a dit qu’il allait trouver un plombier. En fait il est venu avec les deux plombiers, nous disant qu’il était toujours gentil avec les dames !

Il me parle, et me dit, se tournant vers le plombier : “excusez moi, je vais parler occitan”. J’aime ces gens qui ont la délicatesse de vous prévenir qu’ils vont parler devant vous, une langue que vous ne comprenez pas !

Alberte a eu à son tour, de graves problèmes de santé. Ils étaient tous les deux à domicile, avec une infirmière, une aide ménagère. Nous y allions toujours les voir, Martine et moi, à Pâques, à la Toussaint. Martine et Alberte se téléphonaient pour se donner des nouvelles.

Alphonse vieillissait mal. Il ne pouvait plus parler, avait des tuyaux branchés partout. Quand il me faisait la bise en me serrant fort, j’avais presque envie de pleurer tant cela m’émouvait de le voir si content de me voir.

Il y a quelque jours Martine m’appelle pour me dire qu’Alphonse est mort. En temps normal, je me serais débrouillée pour aller à l’enterrement, mais je n’ai plus de congés avec les jours pris pour le déménagement d’Athéna. Je téléphone pour commander des fleurs, c’est tout ce que je peux faire.

J’ai du vague à l’âme. C’est une page qui se tourne, une partie de mon enfance et de mes souvenirs qui reviennent. Je pense à Alberte, seule chez elle maintenant.