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Enfant j’étais riche de trois familles. Des univers à la fois semblables et différents. Trois grand pères et trois grand mères. 

Ma grand mère Marcelline dont j’ai déjà parlé a toujours eu la bougeotte. Elle a habité plusieurs régions, et ses enfants ont toujours suivi, jusqu’à ce qu’ils se marient. Avec elle j’ai connu plusieurs maisons de campagne, plusieurs lieux de vacances. 

Elle avait également la bosse du commerce, et après avoir travaillé dans une petite épicerie, elle a acheté un café à Vierzon. 

C’est là que j’allais en vacances, enfant, souvent avec mon cousin. Quand on est enfant, un café avec ses clients, c’est quelque chose de magique. Il se trouvait sur une route relativement passante, une route dont je n’avais pas le droit de m’approcher. Mais je désobéissais, car j’adorais le petit bonhomme en métal sur le bord de la route : un petit garçon blond assis sur un tonneau de bière. Il faisait presque ma taille, posé sur le bord de la route. Je suis incapable de me rappeler la marque de la bière, mais d’après le costume du garçon, je pense que c’était une bière allemande ou alsacienne. J’avais du le voir des centaines de fois sur les routes, mais jamais je n’avais pu l’approcher de si près. C’était mon ami imaginaire… 
nb : mes recherches gogolesques ne m’ont pas permis de retrouver l’image !

Derrière le café, se trouvait une cour qui ressemblait à une cour de ferme, avec sa grange dotée d’une énorme porte. À l’arrière de la batisse un escalier métallique très raide donnait accès à des chambres minuscules. Parfois elles étaient louées. 

C’est là que je dormais, ainsi que mes grands parents. Le reste de leur vie se passait dans l’arrière salle du café, une grande cuisine et une salle à manger. La salle à manger servait aussi de salle de restaurant pour les clients, mais c’était seulement sur réservation, pour des occasions particulières.  Il y avait également la grande cuisine, qui était la pièce à vivre de la famille. Quand elle recevait des invités, ma grand mère mettait la table dans la salle à manger. 

Les clients mangeaient dans la salle du café ou au bar, des omelettes, des croque monsieur, des sandwiches.

Tous les matins, celui que j’ai longtemps pris pour mon grand père, mais qui était en fait le compagnon de ma grand mère, partait sur sa bicyclette. Quand je demandais où il allait, on me répondait “à l’usine”… L’usine un de ces mots bizarres, dont je n’avais pas vraiment envie de connaitre la signification. Mes autres grands parents étaient cheminots, ouvrier de la ville, concierge, mais l’usine qu’est ce que ça pouvait bien être ? On m ‘avait expliqué que c’était une sorte de truc obligatoire, comme pour moi aller à l’école ! Si c’était obligatoire, ça ne devait pas être bien folichon ! 

Je me souviens de vacances avec mon cousin. Ma grand mère nous donnait des pièces de 20 centimes, les plus vieilles, avec un coq dessus, pour jouer au flipper. À l’époque j’étais douée, j’ai du tout oublier, car à l’adolescence, j’étais nulle et je ne raffolais pas du flipper ! 
Parfois un “grand” venait jouer avec nous, nous étions toujours dans ses pattes, admiratifs devant la mèche rebelle et le blouson de cuir, ma grand mère appelait ça un “voyou” mais comme je ne savais pas non plus ce que ça voulait dire. 

Le plus souvent, j’étais seule en vacances. J’avais le droit de rester dans la salle du bar, pourvu que je n’embête pas les clients. Mais la plupart du temps, ils étaient plutôt gentils, avaient toujours un petit mot pour moi. 

Tous les midis, un homme dans la quarantaine venait manger une omelette. Il portait un veste élimée, il me rappelait un de mes oncles, j’allais m’asseoir à côté de lui et je lui posais des questions. J’étais à l’âge où la timidité n’avait pas encore pointé le bout de son nez. Tous les midis le même repas, tous les midis une omelette et rien d’autre. 

Un jour j’ai appris qu’il n’avait pas d’argent, ma grand mère le nourrissait tous les midis gratuitement. D’ailleurs il n’y a que chez elle, que j’ai toujours vu mettre un couvert en plus “la place du pauvre” lors des repas de famille, et j’ai toujours espéré en voir arriver un, un jour ! Ça me désespérait cette place vide, ce bon repas qu’un homme errant sur les routes aurait pu prendre ! Souvent en Normandie, j’avais vu des hommes passer, on les appelait clochard en ce temps là, et il ne demandaient pas d’argent, mais à boire et à manger, et ils repartaient avec un quignon de pain et un litre de rouge. 

Finalement sans le savoir, le pauvre, je l’ai vu tous les jours, tous le midis avec son omelette ! 

Quand ma grand mère est morte, j’avais dix ans. Je n’allais plus en vacances depuis un moment au café. Le compagnon de ma grand mère ne voulait pas reprendre le café seul, il était en retraite.  J’y suis allée une dernière fois avec mes parents, j’ai ressenti un grand vide. 

Le café a été vendu. Je ne savais pas où il était, j’aurais été incapable d’y retourner. Quand j’ai eu l’âge de conduire, je demandais régulièrement à mon père, de faire un crochet sur la route des vacances pour aller voir le café. Mais soit on oubliait, soit on était trop fatigués sur la route du retour pour y aller. 

Je me demandais si le petit bonhomme en métal y était encore ! Si j’avais été plus âgée à la mort de ma grand mère, j’aurais demandé à le garder ! 

Il faudra que j’y retourne un jour, mais le terrain attenant devant et derrière était plutôt grand. Il a surement été rasé pour faire place à des immeubles !