Quand Eugène est mort, il a fallu bien sur entourer Martine et connaître les joies de la succession. Devenus une “presque société”, mes sœurs, mon frère et moi faisions des réunions, des briefing et debriefing pour organiser la paperasse et les déménagements à prévoir. 

Puis il a été question de la maison  familiale. Cette maison nous l’avions appelé le Trianon, une blague à cause de l’état de délabrement dans lequel elle l’était quand mes parents l’avaient acheté, et parce qu’elle est à Versailles !
On ne pouvait pas l’appeler château de Versailles, le brevet était déjà déposé !

Martine ne voulait pas y rester seule, elle voulait que quelqu’un vienne habiter avec elle. De mars à juillet, nous avons du nous relayer pour aller y dormir, Drôle de sensation que de me retrouver dans ma chambre de jeune fille, avec mes souvenirs d’enfance qui revenaient d’autant plus violemment que je me sentais orpheline de mon père. 

Qui voulait reprendre la maison ? Tous les regards se tournent vers moi, puisque je suis la seule à n’être pas en couple. Pas question : d’abord je ne peux pas assumer de telles charges, ensuite je l’ai toujours trouvé trop sombre, en pleine ville et sans soleil, je suis bien où je suis avec ma petite maison, et mon petit jardin. Et puis je n’ai aucune envie d’habiter avec ma mère, intrusive, et trop curieuse, qui me rendra bien vite le quotidien insupportable ! Mais par acquis de conscience je demande quand même l’avis de mes filles, au cas où. Elles me disent non, et m’avoueront des mois plus tard qu’elles étaient persuadées que je blaguais, et que peut être finalement….

Pour Camomille la question ne se pose pas, ils viennent de faire de gros travaux dans leur maison, et avec 4 enfants, la maison de mes parents est trop petite.

Servane et son mari font leurs comptes, ils ont un petit appartement et ne sont pas sures d’avoir envie de payer les notes de chauffage d’une maison qui aurait besoin d’isolation et qui a toujours été très difficile à chauffer (manque de soleil je vous dit). Elle non plus n’est pas très emballée à l’idée d’être trop près de sa mère, qui lui dit toujours qu’il faut faire comme ci et comme ça, qu’on ne range pas un balai comme ça etc.

Cédric est le plus intéressé, c’est celui d’entre nous qui habite le plus loin, dans les Hauts de Seine, et qui a envie de revenir dans la ville de son enfance, qui est aussi la ville de sa femme. Vendre sa maison ne devrait pas être trop difficile.

Martine veut s’installer dans le studio sous la maison. Le studio qu’occupait mon frère quand il était jeune. Retournement de situation !

Encore un sujet de discussions ! Camomille et moi ne sommes pas vraiment d’accord ! Que Martine trouve le Trianon trop grande, qu’elle n’ait plus envie de faire le ménage et autant de vitres, on peut le comprendre, mais pourquoi passer de trop grand à très petit ? Un appartement avec une chambre ce serait bien quand même ? Nous lui faisons remarquer qu’avec un studio aussi petit, elle ne pourra même pas nous inviter à manger !

Martine proteste qu’elle n’a plus envie de rien, et surtout pas de faire des repas le dimanche. Elle distribue sa vaisselle et son argenterie à ses enfants sous les protestations de ses filles : mais attends un peu ! Il est trop tôt pour faire ça ! Tu viens de perdre ton mari, pourquoi tu veux déjà t’enterrer ! 

Pourquoi ne pas acheter un appartement ailleurs ? Vendre la maison, même si c’est triste, car il est tout de même important que Martine soit bien. Martine ne veut rien entendre, elle veut continuer à habiter à cette adresse où elle a ses amis (Martine n’a jamais eu d’amis !).

Dans ces moments là, nous avons pu constater combien Martine avait vécu dans l’ombre de son mari, et combien il lui était impossible de prendre une décision. Pour ça, et pour d’autres sujets, elle a souvent été une vraie girouette !

Puis finalement la décision est prise, c’est Cédric et sa famille qui s’installeront au Trianon. Tout le monde y trouve son compte. Énorme avantage, Marianne est sa belle fille, elle n’osera pas avec elle ce qu’elle ose avec ses filles.
Cédric est plutôt patient et calme, attentif avec sa mère. Mais lui aussi dit à Martine que si elle veut garder sa chambre, il n’y a pas de problèmes, ses filles partageront l’autre. Martine ne veut pas, elle veut son coin à elle.

Puis il faut se décider. Cédric doit déménager l’été, afin que ses filles puissent changer d’école à la rentrée scolaire. Nous faisons encore une réunion. Cédric demande à Martine si elle veut rester un an de plus dans la maison, et qu’il déménage l’été suivant. Martine veut rester 6 mois. Cédric lui dit “non impossible, pour moi c’est en année scolaire que ça se fait, cet été ou l’été prochain”. Martine finit par accepter pour l’été qui arrive.

Lors d’une réunion sans Martine, Marianne dit qu’elle ne veut pas s’installer dans la maison de ses beaux parents, et qu’il faut déménager les meubles, et faire des travaux. Elle provoque des larmes chez ses belles sœurs, elle n’a jamais fait les choses dans la dentelle. J’ai du mal à imaginer qu’on puisse déménager autant de meubles, de bibelots, mes parents ont toujours aimé le “surchargé”, trop de meubles, de guéridons, de porcelaines, de livres, de tableaux, où allait on mettre tout ça ? 

Mais finalement nous arrivons sans trop de problèmes à faire des réunions répartitions de meubles, y compris ceux qui seront déménagés à la Sauvageonne (surchargée elle aussi !).

Je l’ai déjà dit, je n’ai pas compris que ma mère ne veuille pas être présente lors des déménagements. Étrange comportement. Passe encore pour la maison de campagne, mais comment pouvait accepter de ne pas déménager elle même ses propres affaires ?

Nous décidâmes que dès que j’aurais emmené Martine à la Sauvageonne pour l’été, Cédric commencerait le déménagement de la maison,

J’étais à la Sauvageonne, en juillet, pour emmener mes filles et Martine. Je pleurais en me disant que mon père n’y reviendrai plus jamais. J’appelais Servane qui me disait : le Trianon c’est dur aussi ! Je suis en train de vider l’armoire des parents !

À la fin du week-end, je rentre, laissant mes filles et Martine à la Sauvageonne. Camomille, qui est prof, doit la rejoindre avec ses enfants dans la semaine.

Le Trianon est vide, Cédric a commencé les travaux, il fait repeindre les murs qui en avaient bien besoin.

Il y a une réunion de copropriété prévue, Cédric a promis à Martine d’y aller à sa place. Mais Martine veut absolument remonter en train pour y assister. Elle est persuadée que maintenant qu’elle est veuve, les autres copropriétaires vont essayer de l’arnaquer, de la filouter… Elle est complètement parano.

Il est donc décidé que Martine remontera en voiture le dimanche soir avec Luc. Luc est comme moi, le champion des aller retour Paris, la Sauvageonne tous les week-end de juillet. Ensuite Martine redescendra en train.

Et c’est là que les ennuis commencent !