joncquilles_peintesUne famille, un travail, des collègues, des voisins, des amis. C'est le lot de beaucoup de personnes, même si d'autres n'ont rien de tout ça. Mais ce n'est pas de la vraie solitude dont je veux parler ici.
Mais plutôt de l'indifférence, celle qui se cache, insidieuse derrière tant de visages souriants, polis. La plupart du temps tu n'y prends pas garde. Parce que les bonnes manières font partie de la vie, parce que c'est normal de demander à sa vieille voisine si sa santé va bien depuis son opération.

L'indifférence, c'est plus grave que ça, ça fait plus mal que ça. Et elle me saute au visage, comme un éclair de lucidité, le jour où je n'ai pas le moral, le jour où je n'en ai pas besoin.
Un mot de trop, un regard surpris, un déclic.

Nous vivons dans l'indifférence, une indifférence générale, presque normale. Pour la grande rêveuse que je suis c'est toujours un choc.

Les collègues remportent la palme d'or. Bien sûr on ne peut pas aimer tout le monde. Bien sûr qu'il y a un minimum de questions polies pour la forme. Mais bizarrement, les plus indifférents sont souvent ceux qui vous posent le plus de questions, sans doute pour mieux masquer l'étendue de leur indifférence ! Cette collègue qui ne se rappelle plus où vous êtes allées en vacances, alors que vous partez au même endroit depuis dix ans, ou qui vous demande pour la troisième fois le prénom de vos enfants, et encore quand elle retient combien vous en avez, parce que parfois elle croit que j'ai trois fils, non, ça c'est ma voisine de bureau !

Une collègue s'en va. Une personne dynamique, drôle qui a animé la vie du bureau plusieurs années. Après le pot de départ, si elle revient dire bonjour, chacun le nez sur son micro la traite comme une étrangère. Si elle ne revient pas, personne ne lui demande de ses nouvelles, mais s'adresse à vous si vous avez maintenu le lien. Réponse : "ben appelles là" sous entendu si ça t'intéresse vraiment ! C'est vrai que la paresse doit être la copine de l'indifférence !

Quand on le vit soi-même, même pas une semaine après le pot de départ, être reçue comme un chien dans un jeu de quille, alors que j'ai pas eu l'impression d'être un boulet, ça fait mal ! Certains vous diront comme excuse que le travail, c'est spécial, on porte un masque, on ne s'y fait pas d'amis. Mouais ! Porter un masque 8 h par jour ? Je pense que j'ai toujours cerné mes collègues dans les grandes lignes. Et entre l'amitié et l'indifférence, il y a bien une marge non ?

Au delà des visages parfois trompeurs, on ne veut rien voir. Une collègue s'est suicidée ? Parce qu'elle se sentait seule ? Mais elle n'avait pas l'air pourtant !
Ben si ! On aurait peut-être rien pu faire, mais on aurait pu voir qu'elle ne parlait jamais de famille ou d'amis, ni de ce qu'elle faisait le week-end.

Les amis, l'indifférence est sans doute la bonne façon de repérer les faux amis. Un mot de trop, un regard évasif.
Une amie dont j'écoute le récit des amours malheureuses depuis des années, pour une fois je me mets à parler d'une ancienne histoire. Et voilà qu'elle me coupe la parole au beau milieu d'une phrase pour sortir une de ces phrases que j'adore par dessus tout, et qui sont le symbole même de l'indifférence, "MOI JE, c'est comme moi, ah bon pas moi, moi je connais quelqu'un qui".

Une "prétendue" amie de vingt ans fait une gaffe monumentale, je venais de perdre mon père et je lui dis que Noël ne va pas être gai cette année.
- Ah bon mais pourquoi ce ne serait pas gai ?
Si d'habitude je prends le parti de soustraire dans un coin de ma tête un nom de ma liste, (avant de le faire dans mon carnet d'adresses), je n'ai pas pu m'empêcher de la prendre en défaut. Qu'allait-elle bien trouver pour se justifier ? Rien je crois ou pas grand chose ! Même pas un mot pour s'excuser !

Un ou une amie d'enfance, ceux qui sont censés durer toute la vie ! Toujours tellement ravis de vous voir ! Toujours prêts à évoquer tous ces bons souvenirs, oui il faut absolument qu'on se voit plus régulièrement ! Ils sont là pour les grands moments, mariage, baptêmes, ou enterrement de vos parents, bien sûr ils les ont connu. Mais quand vous avez été gravement malade durant un an, ils ne vous ont jamais appelé, jamais visité. Et quand il vous revoient, ils vous demande : au fait ça va maintenant ? Même chose s'ils apprennent que vous avez divorcé. Les plus courageux appellent une fois, mais de là à penser que le ou la pauvre esseulé(e) serait ravi(e) de sortir un peu et d'être invité, ben non !

La famille aussi peut être le summum pour certains, et pas seulement dans les conversations. Telle femme qui soigne seule un parent malade, alors qu'elle n'est pas fille unique et que ses frères et soeurs ont mystérieusement disparus, happés par d'autres occupations... ou indifférents à leurs parents. Tel père ou telle mère divorcé(e) ayant refait sa vie comme on dit, oublie de penser à ses enfants, oublie qu'il leur brise le coeur.

On oublie d'inviter la vieille tante parce qu'elle devient pénible à se plaindre tout le temps depuis qu'elle ne peut plus marcher. De plus il faut la raccompagner après les repas de famille, et à l'heure qu'elle a choisi, c'est pénible, on se renvoie la balle, qui s'y colle ? Si elle souffre en silence on l'oubliera plus facilement, ouf !

En famille ou entre amis, il y a les petites fautes sans gravité mais qui montrent quand même que l'on vit dans le monde du "chacun pour soi". Exemples :

Oublier de répondre à une invitation ou à un faire part de mariage, naissance, "je l'ai posé dans un coin pour y répondre plus tard et j'ai oublié"  pire ils n'ont pas honte de le dire !
Il y a mieux encore : ta lettre, ton mél, je ne l'ai pas lu ou je n'ai pas tout lu, ou j'ai lu vite fait.
Oui tu me l'as dit hier, mais je n'ai pas écouté. Ah bon c'est ton anniversaire, ta fête, tu passes un concours ? Oui mais si tu ne me le rappelles pas la veille aussi !
Remettre toujours au lendemain le coup de fil ou la visite qui ferait plaisir à la vieille tante, même si c'est une corvée.

Le pire de tout, heureusement pour moi c'est via les médias que je l'apprends : un enfant battu, violé et l'on s'aperçoit que les voisins ou la famille étaient au courant. Ou encore une victime raconte qu'elle en a parlé à quelqu'un.

- Et vous n'avez rien fait ?

- Ben non, moi je m'occupe de mes affaires !

Même si c'est terriblement traumatisant, je finirais par du plus gai :  L'amour.

L'amour qui se heurte à l'indifférence de l'autre. La pire des douleur, le couteau dans le coeur, l'impuissance, les larmes. Quand je sais que je pourrais me rouler par terre, me jeter sous une voiture, rien n'y changera. L'autre est indifférent, mon coeur saigne, mon coeur est brisé, j'ai envie de hurler à l'aide.

Le collégien éconduit, la femme trompée, abandonnée, celui qui aime en secret, qui n'a pas connu cette indifférence, celle d'un seul être, pire que toute l'indifférence du monde ?