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Alain sort de son bureau et monte dans sa voiture, après avoir mis son ordinateur sur le siège arrière.

Il est dix-huit heures, et il a au moins une heure de route dans les bouchons pour rentrer chez lui.

Il est épuisé après cette dure journée où les problèmes se sont accumulés.

Le trajet en voiture lui sert de SAS de décompression pour se vider la tête. Il écoute du jazz et tente de se vider la tête. Il sait qu’il ne trouvera pas chez lui le “home sweet home” cher au britaniques.

Avec une épouse et trois filles il a du mal à trouver du calme. Sa fille aînée a quitté la maison pourtant, elle vit avec son ami et ils ont déjà un enfant. Déjà grand père ! Il imaginait que ça arriverait un jour lointain, quand sa femme et lui auraient eu quelques années à deux, après une deuxième vie… Après une période de repos en fait !

Mais pas maintenant alors qu’ils avaient encore deux filles adolescentes à la maison !

Sa femme a été ravie bien sûr, et le petit est tellement présent dans leur vie, que c’est comme si ils avaient à nouveau un enfant. 

Depuis des années il ne sait plus si il existe. Sa femme lui parle des factures, des enfants, de l’emploi du temps à venir. Le week-end prochain on dîne chez les Dupont, n’oublie pas que l’aînée nous a invité à dîner, et le week-end d’après nous gardons le petit…
Ou alors des voisins, de potins qui n’intéresse qu’elle, elle ne travaille pas et la vie des autres la passionne.

Elle ne prend jamais la peine de l’écouter, même si par réflexe, il continue à dire un mot ou deux sur sa journée de travail. Très présente voire intrusive avec ses filles, elle a crée un petit monde dont il est complètement exclu.

Il ose à peine demander de quoi elles parlent, de quoi elles rient, de peur qu’on lui roule des yeux outrés en lui disant : histoire de filles, tu ne comprendrais pas !

Son épouse doit être pourtant persuadée au fond d’elle, d’être une épouse attentive, puisqu’elle s’occupe de repasser ses chemises, de préparer les repas, elle n’oublie jamais ses anniversaires, et invite toute la famille proche ou non…

Mais elle oublie de lui demander si ça lui plait, s’il en a envie. Ce qui lui ferait plaisir et à quoi il s’intéresse ! Il se sent complètement à part. Il se surprend parfois à ne même pas s’inquiéter si on lui dit qu’une de ses filles est malade, ou que le petit fils a été transporté à l’hôpital parce qu’il a avalé de travers.

Il est à part. Même “à part” de ses enfants ! Il se demande d’ailleurs si on a besoin de lui dans ces cas là ! Si pour faire le chauffeur !

Il a bien souvent l’impression d’être juste l’homme à tout faire.

Alain, il y a une fuite au lavabo, Alain, tu peux m’emmener à Carouf ? Alain n’oublie pas de rentrer tôt vendredi, on a des invités ! Alain tu pourrais sourire quand il y a du monde, tu n’es pas sociable !

Quand le téléphone fixe sonne, si par hasard il décroche il sait que ce sera toujours pour dire : oui je te la passe !

Parfois il rêve de ne pas prendre le chemin de chez lui. De prendre la route, de rouler, nulle part, n’importe où.

De regarder défiler les champs, les arbres, les routes de campagne sans éclairage. L’homme à part…

Combien de temps mettra t-on à remarquer sa disparation ? Et combien de temps pour l’oublier ?