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C’est une histoire vraie, qui date un peu donc je peux la raconter.

Cela se passe en Ile de France dans une famille moyennement aisée, dans une ville également moyenne et moyennement aisée.

Un couple de parents qui travaillent tous les deux. Ils ont un appartement en ville, et une maison sur la côte d’azur au soleil pour leur vacances et leur vieux jours.

Ils ont des enfants trois filles. Quelques années après arrive un “tardillon” comme on dit dans ma famille. J’ignore d’où vient l’expression, mais on me souffle dans l’oreillette que c’est dans le Larousse !

À cette époque où la pilule allait arriver bientôt, alors que Madame a son quota d’enfants, que ça fait des années qu’elle ne craint plus de “tomber enceinte” arrive un petit tardillon, non désiré, alors que les grands sont déjà bien “débrouillés” et que les parents s’estiment trop vieux pour pouponner.

On pourrait l’appeler Vendanges tardives, appelons le Pierrot. C’est un magnifique bambin brun frisé, aux beaux yeux noirs et au visage délicat.

Pierrot grandit sans trop de problèmes. Ce n’est pas le meilleur élève de sa classe, il est un peu indiscipliné, mais très futé, dégourdi et tellement beau qu’il se fait pardonner bien des choses !

L’heure de la retraite sonne pour les parents. Ils ont décidé depuis longtemps de se retirer sur la côte, et ce n’est pas un tardillon qui va contrarier leurs projets !

L’emmener ? Non merci, ils ont fait leur part en tant que parents. On vous le laisse, disent-ils à leur trois filles, comme ça il n’aura pas à changer d’école ! L’appartement ? On le revend, on ne va pas payer deux taxes d’habitation.

Mais voilà les sœurs n’avaient pas vu le coup venir ! Certes elles aiment bien leur petit frère, mais la plus jeune vient de se mettre en ménage et aucune ne se sent vraiment de vocation à élever un gamin de 12 ans. Heureusement elles habitent toutes les unes à côté des autres, et décident de se partager la tâche.

Pierrot passe d’un appartement à l’autre, sans repères, sans éducation, sans qu’on s’inquiète vraiment de lui. Il n’est pas fou, il sent bien qu’il gêne. J’ignore si les plus grandes ont déjà des enfants, ce serait plausible. Peut-être aussi qu’il y en avait une plus gentille que les autres, mais aucune ne roulait sur l’or et Pierrot n’avait pas de chambre à lui.

Il se met à sécher les cours, à voler pour manger, à voler tout court. Il traîne dans les rues, il se fait des copains peu recommandables.

Il est devenu un très beau garçon. Grand, mince, élégant. Et malgré toute ses bêtises, il est plutôt calme, rêveur, solitaire. Il parle bien, il n’est jamais vulgaire.

Un jour au lycée il fait une rencontre décisive. Il se fait un copain, David. David est un garçon gentil, sensible, partageur. David emmène Pierrot dans sa famille, une famille qui ressemble à la mienne.

Trois filles, un garçon, des parents aimants qui travaillent, la grand mère qui vit avec eux. Une famille où on est pas riches, mais toujours gais, ou on dit : pousse toi un peu, fais une place à Pierrot et met lui une assiette.

La grand-mère manque d’avoir une attaque quand elle apprend que des parents sont capables de partir en laissant leur enfant livré à lui-même ou presque, elle qui en a élevé une tripotée, sans jamais se plaindre, y compris le petit dernier, un tardillon.

Alors Pierrot, même si il ne s’installe jamais pour de bon dans la famille de David, viendra très souvent. Il partage les repas, il passe l’après midi à écouter de la musique ou à faire ses devoirs. Il trouve dans cette famille la chaleur humaine, le bloc soudé, des gens qui ne le jugent pas, ne le trouvent pas encombrant et lui ouvrent leur cœur. Si il lui arrive une tuile, ou s’il a un problème, il sait qu’on s’inquiètera pour lui, d’ailleurs c’est là qu’on lui a donné un gentil surnom, Pierrot qu’il a toujours gardé comme un cadeau précieux.

Il sort de plus en plus avec David et ses deux sœurs, une à peine plus âgée, l’autre un peu plus jeune.Ils font partie de la même bande, vont à des soirées.

Ils sont jeunes mais leur parents leur font confiance. La sœur aînée de David a quatorze ans, soit un an de plus que son frère et que Pierrot.

Et ce qui devait arriver, arriva. Quand on est un môme un peu perdu, en manque d’affection, on tombe amoureux très jeune. Pierrot tombe amoureux d’Adèle. Jolie, gaie, généreuse, très attachée à sa famille. Adèle aussi tombe amoureuse quelle chance !

La mère d’Adèle croit à une amourette. D’ailleurs les tourtereaux sont très discrets. S’ils sont toujours ensemble, c’est plutôt en bande, et la plupart de leurs amis ne savent rien de leur amour. Même la famille élargie entendra parler du petit ami d’Adèle, connaîtra son prénom, mais elle ne le présentera pas officiellement.

Des années plus tard, la mère d’Adèle disait à sa fille qu’elle n’allait pas s’arrêter au premier, que c’est dommage de gâcher sa jeunesse, d’être déjà en couple depuis ses 14 ans… Mais Adèle ne voudra jamais en démordre : c’est lui et pas un autre.

Les années ont passé. Adèle et Pierrot sont rentrés dans la vie active, ils se sont installés ensemble. J’ai connu Pierrot à cette époque. Ce garçon si calme, si posé, si bien élevé, je me souviens qu’il m’avait dit une fois “quand j’étais jeune, je volais pour manger”. Je tombais des nues. Je n’ai pas posé de questions, j’ai appris son histoire ensuite. 

Il va très rarement voir ses parents, il ne les considère d’ailleurs pas comme tels. Mais il est resté proche de ses sœurs. Et David est comme un frère pour lui.

Adèle et Pierrot ont attendu très longtemps pour avoir des enfants. Tout le monde pensaient qu’ils n’en voulaient pas, qu’ils voulaient profiter de la vie, voyager. Peut-être attendaient-ils d’être suffisamment mûrs, qui sait ? 

À 36 ans pour Adèle et 35 pour Pierrot ils ont eu un garçon, puis à peine deux ans plus tard, un autre. Mon billet se termine un peu comme un conte de fées, ce n’en est pas un.

Ils ont eu comme tout le monde des problèmes de sous, se sont retrouvés au chômage chacun leur tour, puis ont fini part s’éloigner de l’Ile de France pour acheter une maison à la campagne.

Je ne sais pas pourquoi j’ai repensé à Pierrot il y a peu de temps, je n’avais jamais raconté son histoire, voilà qui est fait.