En octobre la Sauvageonne s’est vidée de ses nombreux habitants. Seuls Jérémy et Artémis squattent de temps en temps. Un jour Jérémy fait le tour de la maison avec son père, il veut lui demander son avis sur quelques travaux à effectuer. C’est alors qu’ils aperçoivent un fin ruisseau qui coule depuis le compteur d’eau et descend la colline.

C’est joli un petit ruisseau qui descend la colline. L’eau pourrait sauter le ravin, traverser la route, et puis aller se mêler au ruisseau, l’Aiguillette. L’Aiguillette se jetterait dans la Louvoise (ce dont je doute) et la Louvoise se jette dans la Gailuronne, et puis dans l’Océan.
Ainsi l’eau de la colline de la Sauvageonne pourrait même se retrouver en Amérique !

Rien d’aussi romantique hélas. Jérémy coupe le compteur et m’appelle pour me prévenir. Le ruisseau s’arrête mais impossible de voir d’où vient la fuite.

Je préviens donc Martine qui va m’appeler dix fois, me faire répéter, me répéter dix fois la même chose. Comme je dis souvent à mes copines qui ont aussi une mère : devine un peu sur qui ça va retomber ?

La réalité donc moins romantique qu’un petit ruisseau, ce sont des mètres cubes d’eau et une facture affolante.
Martine avait relevé le compteur avant de partir.

Martine appelle l’EauDeLaCompagnie qui traîne un peu pour se déplacer ou pour prendre des responsabilités. ” Le compteur est à vous, les fuites ça vous regarde ! “
Ils finissent tout de même par venir, se disent incapables de voir où était la fuite, mais confirment que ça ne coule plus. Il faut appeler un plombier pour réparer. Martine leur demande si ils ont le numéro d’un plombier.
- Ça n’existe plus les plombiers ma petite Dame ! Celui de Petite Colline est parti, il n’y a plus personne. Ce n’est pas à nous de chercher.

Entre temps Martine a appellé la EmméLeffe pour déclarer un dégât des eaux :

- Votre contrat ne comprend pas l’extérieur Madame. Mais si vous voulez, vous pouvez prendre une extension ” Dégâts des eaux extérieur ” pour l’avenir (ben voyons). Naturellement cela ne prendra pas en compte le dégât actuel !

Martine comprend vaguement que la EmméLeffe est prête à lui donner une liste de plombier.

Comme Martine ne lâche pas facilement l’affaire, elle rappelle l’EauDeLaCompagnie, qui lui propose d’appeler un plombier qui pourrait faire une attestation, expliquer d’où vient la fuite.

Ensuite ils lui envoient une lettre en lui disant que si elle fait réparer d’ici un mois elle aura un échelonnnement pour payer la grosse facture. Car Martine affolée est déjà persuadée ” qu’on va nous couper l’eau et on ne pourra pas aller en vacances l’année prochaine ! “

C’est le moment où Athéna est chez moi pour un salon. Martine demande à Athéna de prendre rendez-vous avec le plombier et d’aller sur place.
C’est à moi de trouver le plombier.

Pour faire plaisir à Martine, j’appelle la EmméLeffe. Bien entendu ils me répondent que non ils ne connaissent pas de plombier. En cas de dégât des eaux, ils ” sous traitent ” : une société se charge de trouver un plombier en urgence.
Et puis quand je leur parle de PetiteVilleDuSud, la dame ne sait pas où c’est, et elle n’a jamais entendu parler de ce département !

Bref, je raccroche en riant sous cape. Puis je me coltine les JaunesPages et je fais une longue liste de plombiers pas trop loin de Petite Colline pour Athéna.

Plus tard Athéna me dira : ” ils n’ont pas menti à l’EauDeLaCompagnie ! La plupart ne répondent pas, d’autres sont aimables des portes de tôle et me disent qu’ils n’ont pas que ça à faire ! Heureusement il y en a un gentil qui vient mercredi ! À 8 heures ! OUF ! “

Ce matin Athéna prend la route par un épais brouillard. Elle rate même la sortie de PetiteVilleDuSud, heureusement il y en a deux.

Elle m’appelle. Je suis dans la rue, je viens d’arriver à Paris. J’entends la voix du plombier.
- Ils ont dit quoi exactement l’EDLC ? Parce que là il y a un gros tuyau débranché ! Même moi je l’ai vu tout de suite ! Grand-mère est sûre qu’ils sont venus ?
Nous parlons, je dis ce que je sais.

Je ressens cette sensation que j’ai souvent ressentie.
Je ne suis pas à Paris sur un trottoir mouillé pas loin de mon bureau. Je suis à la Sauvageonne les pieds dans l’herbe haute et mouillée. Je vois le compteur près de l’épais mur de pierres blanches, la petite fenêtre de ma chambre. Je suis là bas avec Athéna.

Puis Athéna raccroche. Elle me rappelle plus tard quand le plombier est parti. Je lui demande si elle a froid. Elle me parle encore de la Sauvageonne.
- Regarde si la lampe extérieure est décrochée. Tu as ouvert la cave ? Si Jérémy a laissé ses affaires de chasse il va revenir, il a dormi là, je ne sais plus quand.

Ensuite je réintègre ma vie. Athéna va déjeuner à PetiteVilleDuSud où Artémis travaille. Je les envierais presque, même si il doit faire froid.

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Un jour en hiver, j’étais sur mon balcon. J’entendais ma voisine parler au téléphone, elle se met toujours à la fenêtre de la cuisine pour téléphoner, n’imaginant pas sans doute, que tout le monde l’entend. Il avait neigé dans beaucoup de départements, du gel, du verglas. Je l’entendais :

- Oui c’est bien ça la porte de derrière ! Non pas de ce côté, du côté du petit ruisseau, tu as regardé ? Il n’y a pas de dégâts ? Ferme bien le cellier surtout !

J’ai souri toute seule. On dirait bien que les voisins ont une maison de campagne !

Je pense à Marc, mon précieux. Je pense à tous ces gens qui ont une partie de leur cœur ailleurs qu’en ville. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces petits soucis moi je les aime bien.