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Le temps passe.

Je ne dirais pas que j'oublie. C'est au fond de moi. De loin en loin je me pose des questions, je pense à Lucien.

La tombe grise représente quelque chose de magique pour moi. C'est là que je vais quand je vais mal. C'est lui qui je prie, quand j'en ai besoin. Ce n'est pas que je vois comme un Dieu, mais plutôt comme un grigri. Un espèce de pouvoir magique qui n'appartient qu'à moi.

Avec le temps, nous voyons moins la famille de Lucien. Liliane et son mari, Colin qui a divorcé sont partis vivre sur la côte d'Azur. Mon cousin s'est marié et j'ai assisté à son mariage. Ensuite, je reçois des faire part de naissance, mais on ne se voit plus beaucoup, l'époque des communions est finie. La mère de Lucien2 s'est remariée.

Et puis vient le jour où je me marie. Un jour je parle à Benjamin de mon histoire. Contrairement aux autres, il avait remarqué que mon bronzage n'était pas de famille.

Vu que les cérémonies à la mairie sont plutôt tristes et trop rapides, et qu'on ne peut pas choisir la date dans les grandes villes, j'ai opté (ma sœur a fait la même chose après) pour "un mariage civil" petite cérémonie en petit comité, et le "vrai" mariage avec la messe, les invités et tout le tralala, dans le Sud, à une autre date.

J'aurais peut-être du me contenter d'un mariage entre deux témoins, puisque je n'avais aucune envie que ma belle famille (nombreuse) ne soit au courant de mon secret, mais c'était délicat de les exclure. Il y avait donc ma tribu et celle de Benjamin ce jour là, ce qui faisait déjà beaucoup.

Je n'étais pas du tout à l'aise, j'avais l'impression que les gens (qui n'écoutent pourtant rien dans un mariage) n'allaient entendre que "ça".

Eugène non plus n'était pas à l'aise, et m'avait indiqué comment remplir les papiers, je précisais bien son nom, fille de... adoptée par...

Eugène c'est mon père, je suis sa fille.
Le reste n'est que paperasses, mais les gens restent les gens :
- ah bon.! C'est vrai.! Incroyable.! Maintenant que vous le dites, c'est vrai que... Mais pourquoi on ne l'a pas su avant.!

Benjamin avait prévenu sa mère, bavarde et curieuse, comme Martine, qu'elle ne pose pas de questions et n'en parle pas devant moi. Mais bien entendu si je l'ai su, c'est qu'elle n'a pas pu tenir sa langue.!
Avantage, dès qu'elle a ouvert la bouche, elle s'est faite engueuler par son fils : "je t'avais dit de ne pas poser de questions"... Ce qui m'a évité d'avoir à y répondre.!

À la mairie, pour éviter d'inviter des personnes en plus,  Benjamin avait pris mon frère pour témoin, et moi j'avais pris le sien. Mais ce n'était pas le vrai mariage pour moi.

Mon témoin c'était Laurent le jour du mariage à l'église.

Je me souviens que beaucoup plus tard, un jour où j'étais au restaurant avec Laurent, je lui parle de mon mariage à la mairie. Aussitôt il pousse un cri : "tu t'es mariée à la mairie et tu ne me l'as pas dit.!"

Je me suis mise à pleurer, et je lui ai avoué mes raisons. Des raisons dont j'avais honte après coup. Laurent me disait que lui, il savait tout ça depuis longtemps. Si je pleurais c'est que la blessure était tout de même là.

Que cette histoire, que j'occultais la plupart du temps, pouvait refaire surface dans les grands moments de ma vie. Et quand j'y repense aujourd'hui, je me dit que si je devais me remarier demain, pas sur que j'ai envie que tout le monde sache que mon père adoré n'est pas celui qui a mis la petite graine. Le dire à des gens à qui on a choisi de le dire, c'est une chose, le dire à d'autres, devoir donner des explications, en est une autre.

Un jour je mets au monde une petite fille blonde aux yeux verts, le rêve de Lucien, souvenez-vous.!

Lorsque Martine vient me voir à la maternité, elle me prend le bébé des bras, sans même un regard pour moi. Je lui reprocherai plus tard. Mais j'ai eu à cet instant comme un déclic, comme si je sentais que quelque chose se passait.

Deux ans plus tard Artémis montre le bout de son nez. Souvent j'ai entendu parler de ressemblance, la même peau par exemple. Artémis ressemblerait beaucoup à Lucien d'après ma grand mère Jeanne qui vivait encore. De plus elle a les cheveux de ma tante Liliane. Athéna a les yeux verts de la famille Amour.

J'ai attendu plusieurs années avant de parler à mes filles. Elles adoraient Eugène leur grand père, pas question de les troubler. De plus pour elle l'histoire s'éloigne : il s'agit de leur grand père, pas de leur père.
Je les ai emmenées sur la tombe de Lucien, et je leur disais que c'était le fiancé de grand mère qui était mort, mais rien de plus. La famille Amour s'était éloignée, ils ne s'étaient même pas donné la peine de venir à mon mariage, d'ailleurs Eugène leur a voulu. Donc aucune explication à leur donner de ce côté.

Quand je leur ai parlé, elles avaient l'âge de raison. Et elles ne s'inquiétaient pas pour Eugène. Lui qui avait toujours eu une légère préférence pour moi, faisait de même avec ses petites filles, tout en se le reprochant un peu. Mes sœurs et mon frère trouvaient ça normal, limite amusant, tout comme comme nous taquinions mon père avec "son fils préféré", qui selon nous était mieux traité que "les filles".

Et un jour j'ai pris une grande décision, sans savoir que cette décision allait faire remonter à la surface l'histoire que tout le monde croyait enterrée.

à suivre