fillette

Les souvenirs d'enfance sont nombreux et variés. Petite, je passais de nombreuses vacances, chez Marcelline et Marcel, son compagnon.Ils avaient la bougeotte, contrairement à mes parents qui n'ont jamais changé de région. Ils ont d'abord eu une maison en Sologne, région d'où Marcel était originaire, et où il aimait chasser.

J'y passais des vacances avec mon cousin Lucien 2. Je jouais avec la chienne berger allemand, elle était d'une patience d'ange avec nous. Plus tard j'ai appris que c'était le chien de Lucien. Parfois aussi j'allais chez Liliane et Gérald, qui avaient eux aussi une maison de campagne.

Plus tard Marcelline et Marcel ont acheté un café dans le Centre. Ces souvenirs là sont encore plus magiques. Les pièces de 20 centimes que Marcelline nous donnait pour jouer au flipper. Marcelline faisait la cuisine, il y avait la salle du café, et une autre plus jolie derrière, la salle de restaurant. Dans cette salle où nous mangions, il y avait toujours la place du pauvre. Cette assiette vide, cette place libre m'a toujours intriguée.

Tous les midis un homme venait manger une omelette et un verre de vin. J'allais m'asseoir à côté de lui. Il semblait jeune, la quarantaine, il avait une veste usée,  je lui posais des questions. Je lui demandais où il travaillait, il me disait qu'il travaillait à l'usine.
Un jour j'ai demandé à Marcelline pourquoi il mangeait tous les jours la même chose, elle m'a répondu qu'il n'avait pas d'argent, qu'elle lui faisait son repas gratuitement, qu'il n'avait plus de travail.

De Lucien, je n'avais que quelques photos en noir et blanc. Celle de sa tombe, que je gardais dans un cadre, puis d'autres de lui bébé. Rien de bien parlant. J'interrogeais les yeux noirs, je me posais des questions.

Ce qu'on m'en disait c'était toujours la même chose. Un beau gosse, bon vivant. Ou alors on me disait qu'il n'y avait pas grand chose à dire : c'était un gamin, un gamin c'est tout.!

Bien sût tout cela n'était pas flagrant. J'étais heureuse dans ma tribu, j'adorais Eugène. Je n'avais pas de "voile noir" ou de blocage comme Martine. Juste des questions qui revenaient parfois, un mystère. L'envie de savoir qui j'étais, d'où je venais.

J'avais 10 ans quand Marcelline est morte. Marcel lui a survécu quelques années. Eugène et moi allions le voir tous les soirs à l'hôpital où il a fini ses jours.

C'est là que j'ai été propulsé dans un monde auquel je ne comprenais pas grand chose. Marcelline avait trois enfants, dont un décédé. J'étais l'héritière de Lucien. Ma mère n'avait aucun droit, si ce n'est celui de placer mes sous jusqu'à ma majorité.

Encore une différence, encore une chose qui faisait de moi un être à part.

Colin, mon oncle, divorcé est parti vivre sur la côte d'Azur. J'ai vu moins mon cousin Lucien2 une fois l'enfance, les communions et autres passées. Restait Liliane et son mari, que nous voyons souvent. Après la mort de sa mère, Liliane a adopté un petit garçon a qui elle a donné mon prénom au masculin.

Je ne parlais à personne de tout ça. Mais j'étais heureuse qu'à la maison de campagne, personne ne sache mon vrai nom.

À l'école je portais les deux noms accolés : Amour-Nathanaëlle, pour qu'Eugène puisse signer en tant que tuteur légal. J'étais trop jeune pour me rendre compte que Amour était le plus beau nom du monde, tout ce que je voyais c'est qu'on se moquait de moi. Et comme j'étais timide, je ne savais pas me défendre. En aurais-je moins souffert si ce nom avait été le même que celui de ma tribu ? Possible. Lucien 2 a essuyé aussi des moqueries, mais n'en a pas été traumatisé : il portait le nom de ses parents.

Le seul à qui j'en parlais était Laurent. Laurent a toujours eu un talent pour la psychologie, il avait aussi des problèmes à régler. Il comprenait tout, analysait, et tombait rarement à côté. De toutes façons avant que je lui dise, Laurent avait déjà deviné quelque chose, un jour où mes parents parlaient de leur anniversaire de mariage. Laurent a mon âge et il a vu que les dates ne "collaient" pas.
Un jour il m'avait fait remarqué que même mon parcours vis à vis de l'argent n'était pas normal.

Et puis un jour, Eugène a fait une procédure pour m'adopter. Pourquoi attendre si longtemps.? Je ne l'ai compris que plus tard : pour ne pas blesser Marcelline bien sûr.! C'était une adoption simple. Je n'y comprenais pas grand chose. La seule chose qui m'interessait était de porter le nom de mon père adoré. Il avait du demander une autorisation : à l'époque ça ne se faisait pas, on accolait pas non plus les deux noms.

Il a fallu bien sûr l'accord de Colin et Liliane, je n'étais pas une enfant sans famille. Ils ont accepté.

Un soir Eugène m'a ramené une rose et m'a dit : voilà tu es ma fille officiellement.! J'ai pris une photo de moi pour immortaliser l'instant, je l'ai collée dans mon journal intime. Elle y est encore. J'avais 16ans.

Au lycée à la rentrée suivante, j'ai changé de nom. Puis les années suivantes, j'ai changé de lycée. Un jour on m'a demandé mon diplôme du brevet, et j'ai été presque étonnée d'y voir mon ancien nom.

Plus tard j'ai même travaillé avec mon père. Je savais juste que si je me mariais, je devrais dire mon vrai nom à mon futur mari.

Je ne savais rien de tout ce que cela avait engendré. Je ne savais pas quelles conséquences psychologique avait mon histoire sur les autres.

à suivre