Une grande rêveuse

Isabelle a reçu un sms de son soupirant transi, il lui souhaite la Bonne Année !

Elle sourit : tiens bizarre, il attend le lundi pour m’envoyer un sms de Bonne Année ! 
Tellement prévisibles ces hommes mariés ! Elle en conclut que son épouse n’est pas en vacances, contrairement à lui ! Cela dit, elle se demande comment on peut réagir comme ça :
Jamais je ne pourrais ! 

Car de deux choses l’une : soit l’épouse surveille chaque sms…ou ils craignent qu’elle ne le fasse : tu écris à qui ? C’est qui ce sms ? 
Soit l’épouse s’en contrefout et a autre chose à faire, mais ils se sentent plus à l’aise quand Madame est loin ou que lui-même est au bureau. 
Ou alors les deux à la fois…
Franchement je ne suis pas du genre à tromper, en tout cas du temps où j’étais mariée ! Mais si j’avais du être infidèle, je n’aurais jamais supporté de me cacher comme une gamine !

D’abord parce que je suis une femme libre, et ensuire parce que envoyer un sms en cachette, enfermée dans les toilettes, je me serais sentie stupide et incapable d’assumer comme une enfant qui mange en cachette ! 
Je préfére la franchise : oui j’écris à Charles Edouard, et alors ? Je fais ce que je veux ! 

De toutes façons à notre époque, ce n’est pas interdit d’avoir des amis du sexe opposé.

Isabelle se dit un brin malicieuse : et si j’attendais ce soir pour répondre à ce gentil sms ? L’air de rien : Grand Merci Charles Henri pour tes voeux, reçois les miens en retour, et ne manque pas de présenter mes voeux à Madame ton épouse et à tes enfants !

Hihi !

Il est tenace, cet homme, il est tenace, ça il faut bien lui reconnaitre ! Cela fait des années qu’il lui fait une cour discrète… mais prévisible. Car ils ne se croisent pour ainsi dire qu’une fois ou deux par an, et il a du ruser pour obtenir son numéro de portable, elle ne se méfiait guère.

Elle pourrait être flatteuse cette tenacité, le temps ne compte pas !

Ce serait tellement romantique si ce temps n’était rien parce que : 
C’est elle que je veux et pas une autre et j’attendrai le temps qu’il faudra…
Ou encore : 
J’ai confiance. Je sais que cette histoire est la bonne. Peu importe le temps, je suis sûr que nous sommes fait l’un pour l’autre. Et si entre temps elle en choisit un autre, alors je n’aurais rien perdu c’est que ce n’est pas notre histoire ! 

Oui ce serait tellement romantique. Sauf qu’il n’en est rien ! Si le temps n’est rien c’est pour une toute autre raison, Isabelle le sait, elle n’est pas née d’hier :
D’abord il y a le temps de la famille. Le temps ne compte pas quand on est marié, parent, que les enfants grandissent. On ne le voit pas passer. Dix ans ou un an c’est pareil, on est bien. C’est le temps de la famille.

Mais ce n’est pas l’essentiel. Isabelle pense que le temps ne compte pas parce que l’homme marié veut la mettre dans son lit. Il n’est pas amoureux d’elle, il ne veut pas qu’elle tombe amoureuse de lui. Il n’est pas jaloux, n’a pas peur qu’elle  tombe dans les bras d’un autre. 
Alors il attend l’occasion de la voir. Bien sûr quand cette occasion arrive, il est tout content. Il est déçu si il ne se passe rien. Entre deux rencontres, il n’y pense pas plus que ça, elle n’est pas dupe.

Et puis puisqu’on parle de famille, il y aussi une autre raison à cette tenacité !
Il n’y a que dans les films ou dans les séries, qu’à peine séchées les larmes du chagrin d’amour, un autre amour pointe le bout de son nez. Dans la vraie vie, le choix…Limité le choix, Isabelle seule depuis des années ne le sait que trop.

Si c’est le cas pour elle, qu’en est -il pour l’homme marié ? Celui ci a bien peu d’occasions. Il est comme tout le monde entouré d’amis, surtout de couples. Jamais une femme ne se jette à sa tête, même si il est beau.  De toutes façons l’homme marié vit depuis vingt ans le temps de la famille.
Le jour où il commence à avoir des doutes, des manques, des envies, cela reste bien souvent à l’état de fantasme, il ne se passe rien.

Il ne se passe rien. Ce qui veut dire qu’autour de lui, il ne voit aucune possibilité. Il faudrait déjà trouver quelqu’un qui lui plait, et ce n’est pas si simple. Et en plus il faut que celle-ci soit ouverte à l’aventure.

Alors Isabelle n’est pas dupe : il est tenace parce qu’elle est la seule, tout simplement ! Cela ne veut pas dire qu’elle ne lui plaît pas et que c’est faute de mieux…
Mais cela veut dire beaucoup de choses quand même.

Isabelle, sourire aux lèvres, répond au sms de son soupirant, et le sort s’en mêle, le sms ne part pas… Il ne partira que deux heures après, foutu réseau. Peu importe c’est la faute à Mandarine !