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D’où vient il ce com­plexe ?

Je le sais ! Je l’ai tou­jours su !

J’avais dix-huit ans, Lau­rent aussi. Je ne vais pas racon­ter l’his­toire, je vous laisse fouiller dans les archi­ves !

Je reve­nais de pas­ser un mois de vacan­ces à la Sau­va­geonne, et Lau­rent était resté à la Folie, à pas­ser des vacan­ces moyen­nes avec Brenda. À souf­frir et à aimer ça pro­ba­ble­ment.

Et nous voilà un jour d’été, à par­ler devant le por­tail sur la petite route de cam­pa­gne, comme tou­jours. Il me parle de sa rela­tion avec sa petite amie. Me pose des ques­tions, me demande mon opi­nion fémi­nine qui est for­cé­ment parole d’évan­gile puis­que c’est moi.

Puis une fois que je lui ouvert les yeux, une fois que je l’ai éclairé et que j’ai vu son sour­cil noir se lever de sur­prise, il me dit, en posant la main sur mon bras :

- Merci pour tout ce que tu dis et tout ce que tu fais ! Tu es vrai­ment la fille idéale. Mais il fau­drait que tu chan­ges ta tête ! Un jour je te vole­rai ton esprit !

Et paf !

C’est tout juste si j’entends le com­pli­ment. Tout juste si je sai­sis la nuance, entre chan­ger de tête et chan­ger ta tête.

Trop jeune pour com­pren­dre tout ce que cela sous enten­dait. Trop jeune pour com­pren­dre que tout cela pou­vait lui faire peur, j’étais son amie d’enfance, sa petite fille inno­cente. J’avais pour­tant été la pre­mière à me dire que j’aimais son bel esprit, mais que phy­si­que­ment ce n’était pas ça. Moi la pre­mière j’avais rêvé d’un robot que j’aurais fabri­qué avec l’âme de mon ami et le phy­si­que de cet autre.

Les années pas­sent. Lau­rent n’était pas avare de com­pli­ments sur mon phy­si­que, mais de com­pli­ments qui lais­saient la bles­sure ouverte. Il pou­vait s’exta­sier sur mon bron­zage, ma chute de reins ou mon décol­leté. Mais jamais son mon visage, ma tête. Un jour pour­tant, il avait lu dans un maga­zine, un horo­scope de 10 pages, me l’avait donné, et il avait mis du sta­bilo sur quel­ques phra­ses dont une : “vos yeux par­lent tout seuls”.

Comme j’ai une ima­gi­na­tion débor­dante, je phan­tas­mais toute éveillée : je chan­geais de corps, j’étais une autre, j’étais moi dans le corps d’une autre et j’allais le voir : c’est moi Loui­sianne, ça te va main­te­nant ?

Mais bien sur ce n’était pas ce que je vou­lais vrai­ment. Et puis une star lui aurait fait plu­tôt peur, car pen­dant tout ce temps je voyais mon ami avec des filles plus lai­des les unes que les autres ! À part une ou deux jolies tout de même.

Per­sonne pour me ras­su­rer, per­sonne pour me faire com­pren­dre que ça ne tenait pas la route.

Et puis un jour, j’ai grandi. Je venais de divor­cer, j’allais déjeu­ner avec Lau­rent, le midi, j’allais le cher­cher à son bureau, élé­gante et par­fu­mée. Et je sen­tais bien qu’il était fier de moi. Je voyais son com­por­te­ment, je voyais qu’il aimait lais­ser pla­ner le doute quand à notre rela­tion, si jamais son entou­rage pen­sait que j’étais sa maî­tresse ? Ça l’amu­sait !

J’avais grandi aussi, j’avais appris à faire des com­pli­ments. Et je lui en fai­sais enfin ! Je le trou­vais beau et je lui disais.

Je ne lui en ai jamais parlé. Au début parce que c’était trop dou­lou­reux, ça ne me gênait pas de pleu­rer sur son épaule, mais pas pour par­ler de mon com­plexe. Et puis après parce que ça aurait sonné comme un repro­che. Et ce n’était pas de sa faute. Il ne m’avait rien fait.

Je m’en veux plus à moi qu’à lui. C’est moi la femme, moi l’intui­tive, moi la for­ti­che, moi la guer­rière. C’était à moi de dénouer et de com­pren­dre tout ça.

Je ne lui en ai jamais parlé, mais je vais le faire. Ou peut-être que je vais lui écrire. En lui disant de me répon­dre un jour quand il vou­dra. Dans six mois dans 10 ans.