Depuis que Laurent oublie (ou fait semblant) d’oublier mon anniversaire, le seul contact annuel c’est le coup de fil traditionnel de “Bonne année”…

Donc en janvier 2008, je préviens mes filles… Vu que ça m’arrive rarement de passer une heure au téléphone, que je risque de ne pas être disponible le soir où… En général ça les énerve : elles ont toujours un truc urgent à me demander à ce moment là, ou râlent “quand est ce qu’on mange”… Sauf que depuis qu’elles sont grandes, je peux répondre : quand tu auras mis la table et fait cuire des pâtes…

Nous y voilà donc en janvier… Un an c’est long, donc il y a beaucoup de choses à dire. Laurent parle beaucoup, ça m’évite d’avoir à le faire… De ses enfants, de sa femme, de son travail. Souvent il commence par me dire : “il est tard, je dois rentrer” et une heure et demi après il est toujours là. Parfois interrompu par un coup de fil, sa femme qui demande ce qu’il fait et il répond “je suis en ligne”…

Puis c’est mon tour… Mais c’est dur.  Depuis que  tout a changé, depuis que j’ai changé, depuis que je ne ressens plus les mêmes choses. Je n’ai pas envie de parler de mes filles. Surtout pas mes filles, c’est mon jardin secret… À la limite j’en parle plus facilement à mes collègues qui suivent mon quotidien au jour le jour…
Laurent il faut tout lui dire : elles ont tel âge, elles sont en telle classe… Athéna est partie vivre avec son copain, elle est revenue, c’est fini avec le copain…

Trop de distances, trop de saut de ligne…

Je parle plus facilement de ma tribu. Mes soeurs, mon frère, mes neveux et nièces. Vu le nombre cela prend du temps. Et c’est sans danger : si il y avait vraiment une chose confidentielle concernant ma tribu je n’en dirais rien…

Bien sûr avant ce n’était pas un problème entre nous. Puisque l’essentiel comme dans toute relation c’était nous. Ce que nous avons vécu, ce que nous ressentons, comment nous avons évolué, le chemin parcouru, les projets…

Mais c’est là que le bât blesse… Je peux encore l’écouter, mais je n’ai pas envie de parler de moi. 
Il le sait, il le sent…  Raison pour laquelle il me retient, me bombarde de questions, ne me lâche pas… Et encore nous sommes au téléphone. S’il me voyait il ferait tout pour me faire baisser ma garde, démolir mes barrières, m’apprivoiser…

Justement il faut qu’on se voit : il a une occasion toute trouvée : cela fait au moins 4 ans qu’il a promis d’inviter ma tribu, puisque que le dernier dîner avait eu lieu chez Cédric. Il me propose des dates…
Dans ce cas là c’est moi qui fait l’intermédiaire entre ma tribu et lui…
Ce qui n’est pas du tout facile : Camomille est débordée, annule, reporte, Cédric doit consulter sa femme…
Servane n’est pas concernée, et Servane me ressemble, plutôt cool, pas le genre débordée
Bref, faire l’intermédiaire c’est le boulot ingrat assuré…

Je note les dates, puis lui dit que je confirme tout ça bientôt…

Ma tribu pour une fois ne fait pas trop d’histoires du genre : non le 6 je ne peux pas, ah le 8 oui, mais non car Cédric et Marianne vont à un mariage, et pourquoi pas le 19, ah non vacances scolaires…

Et on arrive à fixer rapidement une date. Reste à prévenir Laurent. Mais comme je n’ai pas envie de passer une heure au téléphone, et que je veux surtout éviter le temps d’attente : il est en ligne, je prends un message ?  vous pouvez le rappeler ? votre nom ?
J’ai déjà dit ce que je pensais des gens débordés !

Je lui envoie un mél. Deux mois passent, pas de réponse. Ma tribu me demande ce qui se passe, parce que, pensez donc, si la date se libère, vu nos agendas, on va l’utiliser pour autre chose … mais ce qu’ils sont soûlants avec leurs agendas de ministres, comme dit Athéna on se demande si toi et eux c’est la même famille !

Donc pas le choix… Il faut que je rappelle Laurent… Lundi… Coup de chance, je l’ai tout de suite en ligne… Il est bien sûr très en retard, mais aurait tout de même prolongé la conversation si ce n’était pas moi qui avait dit aurevoir…
- oui j’ai reçu ton mél… Mais tu confirmais… Tu ne demandais pas de réponse…
- peut-être… Mais en même temps si tu ne réponds pas, je ne peux savoir si tu l’as reçu…
- oui les méls ce n’est pas une science exacte !
- raison de plus pour répondre ! Et puis ça ne prend pas beaucoup de temps, non !

Il me donne l’heure, l’adresse, je n’ai jamais vu sa maison depuis qu’il a quitté Paris. Puis on se dit aurevoir…

Et le soir même je trouve dans ma boîte mél la réponse de Laurent… Incroyable comme il réagit au quart de tour à chaque reproche !