Il y a deux semaines, mon cousin m’a appelée pour me que ma tante Liliane est décédée. Elle avait 83 ans, bien sûr c’est un bel âge. Cependant elle et son mari avait une telle pêche que je me disais que j’aimerais vieillir comme ça, et que ça donne de l’espoir !
Toujours élégante, gaie, le rire, le sourire comme tant de fleurs des îles. On prenait Liliane pour ma mère, nous avons le même bronzage alors que Martine a une peau de rousse.

Liliane souffrait de mille maux, elle passait beaucoup de temps dans les hôpitaux, mais elle en parlait peu, plutôt au téléphone d’ailleurs, jamais durant les repas de famille. Elle ne se plaignait jamais. C’est lendemain d’une chimio qu’il l’avait épuisée qu’elle a quitté ce monde. Je me demande toujours pourquoi l’on s’acharne ainsi, et je comprends que certains malades finissent par refuser tout traitement.

Je les avais invités au Printemps avec Martine, mon frère Cédric et sa femme. Nous avions passé un bon moment, nous étions restés à table jusqu’à 17 h sans nous ennuyer une seconde. Cela faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé.

Martine est encore à la Sauvageonne. Je lui ai annoncé la triste nouvelle. Nous avons décidé qu’elle ne ferait pas un aller et retour c’est trop fatiguant. Ses sœurs, ses frères, tout le monde l’a appelée. Nous n’avons pas d’instructions encore pour la date, la cérémonie a eu lieu en Provence. Liliane a voulu être enterré ici, dans la ville natale de Martine. C’est là que sont enterrés son frère et sa mère. Liliane est la dernière de sa fratrie.

Je me suis sentie toute molle. Triste bien sûr, mais pas seulement. Je n’ai pas pu pleurer sur le moment, j’étais au bureau quand mon cousin m’a appellée. Comme toujours dans ces moments là je regrette que mes filles soient loin, même si elles m’ont appelée régulièrement. Triste bien sûr, mais aussi très molle, sans énergie.

C’était jeudi dernier. Nous étions peu nombreux, puisque la plupart des amis de Liliane et son mari sont à Aix.

Cédric et Servane ont décidé de m’accompagner. Il n’y a que Camomille qui n’a pas pu venir. Ceux qui nous connaissent disent toujours que nous nous déplacons en bande, ce qui n’est pas faux. Dans ma tribu nous sommes toujours là pour la famille même très élargie. Pour les mariages, anniversaires de mariages, et malheureusement les enterrements.
Cependant cette réputation de ” bande ” me laisse toujours un goût amer, quand je pense à ma solitude. Le quotidien est important aussi, hélas.

La vie paraît courte, même pour les gens qui vivent aussi longtemps. On voudrait toujours que ce soit plus tard, c’est toujours trop tôt.
En 2017, j’éait allée voir ma tante et je l’avais ” interviewée “, je lui avais demandé de me raconter toute sa vie. Au début je voulais qu’elle écrive, (comme je l’avais demandé à Martine qui ne l’a jamais fait) mais Liliane, gauchère contrariée, m’avait dit qu’elle écrivait comme un cochon, je l’avais donc enregistrée, en me promettant de tout écrire un jour, ce que je n’ai pas encore fait. Je posais des questions bien sûr, car je connaissais de nombreux éléments. Je ne l’avais jamais réécoutée  l’interview depuis (cela dure une heure), mais je l’ai écoutée après sa mort. C’est un peu comme regarder un film de quelqu’un qui est parti. Je ne la reverrais pas, comment est-ce possible ?

Moi qui suis dans une période où je ne supporte plus de travailler, je pense au temps perdu. On aurait pu se voir plus souvent (j’étais toujours invitée à Aix) mais il aurait fallu du temps, de l’argent, toutes ces choses qui nous font ralentir.

À l’heure de la mort, on ne regrette pas les dossiers en retard, mais de ne pas avoir passé assez de temps avec ceux que l’on aime.

Le jour de l’enterrement, mes deux tantes, les jumelles, sœurs de Martine étaient près de moi pour me soutenir. J’ai revu un cousin que je n’ai pas vu depuis des lustres, un peu bohême il n’a jamais répondu à mes invitations, même quand j’ai fêté mon anniversaire… Ce que je ne ferai plus, trop de bougies, ça risquerait de me déprimer ! Nous avons échangé nos numéros de téléphone, je l’appellerai un de ces jours, mais je sais que lui ne le fera pas… Il fait partie de ces gens à qui on dit :  ” Il faut des circonstances aussi tristes pour se revoir ! “

Ensuite ma tante qui habite près du cimetière, (on peut compter sur elle pour entretenir toutes les tombes) nous a invités à boire un café chez elle, Cédric, Servane et moi. Dans cette branche de la famille aussi, je suis celle qui a gardé le plus de lien, qui les appelle souvent. Elles disent que je suis la plus simple, la plus abordable de ma tribu ! Mes tantes sont aussi bavardes que Martine et elles sont comme nous, nous adorons raconter des histoires, évoquer des souvenirs.

Quand je suis rentrée, après que mon frère m’ait ramenée, ça m’a fait drôle de me retrouver seule. Je les vois rarement, mais la famille élargie, ce sont des gens que l’on connaît depuis toujours, avec qui on a toujours des choses à se raconter, avec qui on se sent à l’aise.
Mes deux filles m’ont appelée ensuite.

Je ne me souviens pas si on vit mieux les deuils lorsqu’on est jeune. Mais maintenant à chaque fois que j’apprends une mort je me dis que c’est un monde qui s’en va. Les enfants de ceux qui s’en vont ont la cinquantaine. Il ne restera bientôt plus grand monde pour se souvenir des vies de mes tantes et oncles, ceux qui sont nés avant ou pendant la guerre, ceux dont l’histoire intéresse peu de gens.
La preuve : Servane et moi connaissons bien la vie de Martine et d’Eugène, nous connaissons l’arbre jusque dans ses plus petites brindilles, mais Cédric et Camomille passent à côté de tout ça, cela ne les intéresse pas.

Pour finir, une anecdote un peu plus gai. Lorsque nous sommes arrivés dans le cimetière, mon frère portait le gros panier de fleurs, nous étions les derniers, tout un groupe était déjà réuni près du corbillard.
Cédric dit : je ne vais reconnaître personne !
J’ai dit : ne fais pas la bise aux gars des pompes funèbres “

Justement un homme des pompes funèbres très pro, venait vers nous à grandes enjambées.
Je dis à mon frère : il vient pour les fleurs !
En effet il venait prendre le panier.
Je pense toujours à Athéna dont c’est le métier dans ces cas là ! Je sais qu’elle me demandera comment était le service…