Puis après que les sujets sans grand intérêt sont épuisés, Sybille et Baptiste parlent normalement. De leur vie, de leurs projets, de tout, de rien. Baptiste parle de sa fille qui fait des études d’infirmière.

Sybille a du mal à être attentive. Elle n’a du croiser la fille de Baptiste que deux fois dans sa vie. Elle se dit il y a 10 ans, il y 20 ans, j’aurais posé des questions, je me serais intéressée. Mais là elle reste comme en retrait, elle fait ce qu’il faut pour ne pas avoir l’air de s’en moquer, elle écoute, relance vaguement.

La vérité c’est que ça ne l’intéresse pas, ou plutôt ça ne l’intéresse plus. Elle ne sait pas faire semblant, elle ne sait pas se forcer. Elle part dans sa tour d’ivoire, fait bonne figure mais sans plus. Elle se demande comment font les mondains, ceux qui posent des questions et se moquent de la réponse, elle serait bien incapable de jouer ce rôle en permanence.

L’heure tourne. La grande table s’est vidé, toutes les autres aussi. Sybille fait remarquer qu’il faudrait plutôt venir déjeuner à quatorze heures passées, ce serait plus calme.

Quand c’est elle qui parle, elle retrouve les défauts qu’elle connaît par cœur. Il manque d’écoute, ou d’empathie, ou il ne comprend pas, ou ils n’ont pas les mêmes centres d’intérêt… ou tout ça à la fois. Lui par contre est mondain, il sait faire semblant. Sybille est sûre que si elle le voyait le lendemain et lui demandait : ” Je t’ai parlé de quoi hier ? ” il aurait du mal à répondre.

C’est lui qui veut la voir une fois par an. Sans doute pour rattraper les années où ils devaient se contenter d’un coup de fil annuel. Peut-être pour faire la balance avec les années d’avant, avant le mariage, avant les enfants où c’était elle qui insistait pour garder un contact avec cet ami constamment débordé…
Aujourd’hui elle se dit que s’il oubliait le rendez-vous annuel, elle n’en prendrait pas ombrage.

L’heure tourne. Il est pressé comme toujours. Il faut encore courir après le personnel pour pouvoir payer l’addition. Quand elle le raccompagne à sa moto, il lui dit en riant : ” C’était long mais on avait plein de choses à se raconter “

Elle sourit et se dit que c’est le genre de phrases qu’ils se disaient avant… Il y a longtemps quand effectivement ils avaient beaucoup de choses à se dire et du mal à se quitter.

Sybille rentre à pied au bureau. Elle médite sur l’évolution des amitiés, on parle des amoures mortes mais rarement des amitiés qui s’effritent.
Une phrase d’une chanson lui revient en mémoire.

Je les entends parler
S’éloigner dans la rue
Puis tout à coup cesser
Disparaître de ma vue
Les liens se sont usés
Le temps nous a vaincus
Plus rien à partager
Que sont amis devenus ?

[…]

Si l’on n’meurt pas d’un coup
C’est par petits morceaux
La toiture qui se troue
Puis la cave qui prend l’eau
Nous nous aimions beaucoup
Ne nous blessons pas trop