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Ma grand mère Jeanne était pareille ! Sourde quand ça l’arrangeait !
D’ailleurs elle savait prendre le même air “dans la lune” que Martine !

Quand je dis “dans la lune”, je suis polie, vous connaissez l’expression : parle à mon…

Bien sûr, c’est vrai que Martine devient sourde en vieillissant. Bien sûr elle est appareillée. Et l’appareillage coute cher. Plus d’une fois, nous ses enfants nous sommes proposés pour lui acheter le top du top, quel que soit le prix, mais elle refuse ! Elle est même allée jusqu’à récupérer l’appareil de mon père pour l’adapter à son oreille.

Heureusement Martine entend parfaitement au téléphone, ce qui ne veut pas dire qu’elle écoute, d’ailleurs !

Ne pas entendre ne doit pas la déranger tant que ça, vu qu’elle parle tout le temps. Le problème est que quand nous sommes nombreux, elle parle “par dessus” une autre conversation, sans se rendre compte que quelqu’un parle !

Et bien sûr quand nous parlons tout bas, comme lorsque nous parlions de l’histoire du camping, et que nous ne voulions pas qu’elle sache que ses petits enfants avaient fait des bêtises, elle a entendu !

Et puis il y a des moments où elle n’a tout simplement pas envie de participer : malgré nos efforts pour parler fort et la faire participer, elle prend son air dans la lune, “je suis là, mais je suis pas là”, quand sa pseudo surdité lui sert d’excuse pour se retrancher dans son monde !

Quand on lui reproche, lors d’un repas de famille, de ne pas avoir parlé à l’oncle Hector, qu’elle voulait pourtant voir, elle répond que c’est parce qu’elle n’entend rien. Il est facile de voir qu’elle n’en avait aucune envie !

On pourrait à la rigueur comprendre qu’elle ait envie de calme parfois, vu l’ambiance délirante dans la tribu, mais le problème, c’est ce que ce n’est pas tout le temps !
Souvent elle se fâche : nous faisons exprès de parler doucement, de ne pas nous occuper d’elle !

À nous de deviner si elle a envie de calme, ou si elle boude !

L’été quand je suis seule avec elle, ou avec mes filles et elle, c’est souvent le clash.

Je lui parle pour dire “il fait beau”.
Elle me fait répéter. Je répète.
La deuxième fois, je refuse de répéter : on s’en fout ! Si c’était important je répèterai, mais je ne vais pas dire dix fois : IL FAIT BEAU HEIN ?

Un matin je me lève et je prends le petit déjeuner avec elle. Je lui raconte la soirée de la veille, quand nous avons vu le gérant du Clos du bouc.

À midi, mes filles la tête à l’envers après une nuit de fête, parlent avec moi à table de cette même soirée. Au début nous parlons à Martine, puis toutes les trois. Ma mère se fâche, part dans sa chambre, disant que c’est un complot, d’habitude je suis la seule à parler exprès doucement, et maintenant mes filles s’y mettent !

Plus tard devant l’insistance d’Athéna, je vais la voir, elle a enlevé son appareil. Beaucoup plus tard, je lui dirai qu’elle abuse, que je lui avais raconté la soirée le matin en tête à tête, et que nous parlions de la même chose. Mes filles fatiguées parlaient doucement, certes…

Mais si nous avions vraiment des secrets, nous irions ailleurs, sachant très bien que Martine entend quand ça l’arrange !