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Il y a des décep­tions que l’on aime­rait bien épar­gner à nos enfants.

Athéna est donc par­tie vivre à Grande Ville du Sud. Cela fai­sait plu­sieurs années qu’elle en par­lait, et comme elle tenait à son rêve, qu’elle n’en chan­geait pas, je me suis dit que c’était sérieux. Les pre­miè­res années où elle en par­lait j’étais plu­tôt inquiète, mais avec le temps, elle a gagné en matu­rité. Et puis la plu­part de ses copains de Petite Col­line et de Peti­te­vil­le­du­Sud, avaient quitté le lycée pour aller étu­dier à Grande Ville du Sud. Elle avait donc de vrais amis sur place, c’est tou­jours ras­su­rant.

J’ai raconté com­ment elle s’est ins­tal­lée à l’auberge, après qu’elle ait trouvé un tra­vail. Au début de son séjour c’était un peu comme si les vacan­ces con­ti­nuaient, Arté­mis vient la rejoin­dre pour la der­nière fête de vil­lage, Athéna est invi­tée à un anni­ver­saire. Je viens pas­ser un week-end avec elle à l’hôtel. Athéna a aussi une autre bande de copains, cer­tains qu’elles con­nais­saient déjà, et d’autres qui se sont rajou­tés.
Sa bande de potes les con­nais­sent aussi d’ailleurs, tout le monde se con­nait.

Puis vient le week-end du démé­na­ge­ment que j’ai raconté aussi. Fin octo­bre, lorsqu’elle a sa paye, elle invite tout le monde à sa cré­maillère, enfin à un apé­ri­tif dans son stu­dio, Arté­mis est venue spé­cia­le­ment pour l’occa­sion. Pour com­mu­ni­quer rien ne man­que aux djeuns : évé­ne­ment face de bouc, MSN, SMS and co !

Ses nou­veaux copains répon­dent pré­sents. Pour les autres, les anciens les vrais… Rien !
Silence radio. Elle insiste par un mes­sage sur son mur face de bouc. Rien. Elle m’en parle un peu triste, elle était con­tente de mon­trer son appar­te­ment, tous ceux de la bande quand ils se sont ins­tal­lés, avaient eux aussi fait une cré­maillère, con­tents de mon­trer leur appar­te­ment.

Quel­ques jours pas­sent. Athéna se demande si elle a fait quel­que chose de tra­vers : par exem­ple ne pas assez faire la fête avec ses col­locs en semaine, parce qu’elle, elle devait se lever. Un appel à un des gar­çons de la bande, qui lui assure que per­sonne n’est fâché la ras­sure. Puis un soir, elle amène une bou­teille de whisky à ses col­locs pour les remer­cier de l’avoir héber­gée. Tout se passe bien.

Plus tard elle envoie un SMS à la bande pour leur pro­po­ser un apéro chez elle, aucune réponse. Elle insiste plus avec un gar­çon de la bande, un “pas comme les autres”, plus pro­che d’elle et d’Arté­mis que les autres. Pas de réponse. Bien sur il y a l’excuse “j’ai plus de cré­dit”, mais les djeuns savent com­mu­ni­quer quand ils veu­lent, MSN le len­de­main ou face de bouc, pour dire “désolé j’ai pas pu te répon­dre” mais non… rien de tout ça !

Ils sor­tent bien sur. Cer­tains vien­nent de Peti­te­Vil­le­du­Sud, pour s’amu­ser à Grande Ville du Sud. Mais jamais aucun n’a l’idée d’invi­ter Athéna.

Pas de rai­sons. Pas de dis­pu­tes. Juste une banale indif­fé­rence ! L’oubli !

Bien sûr elle aurait pu s’impo­ser : pas dif­fi­cile de savoir où ils sor­tent, et elle aurait été pro­ba­ble­ment bien accueillie. Mais ce n’est pas son carac­tère et elle était bles­sée. Elle est fra­gile, même si elle n’en a pas l’air ma déesse blonde guer­rière ! Le jour où on se rend compte que si on fait rien pour aller vers ses “amis”, ils ne font rien non plus. L’oubli !

Décep­tion, désillu­sion.

Elle con­ti­nue à sor­tir avec sa nou­velle bande. Elle n’a jamais croisé son ancienne bande d’ailleurs, bizarre.

Il en reste tout de même un ou deux qui pren­nent des nou­vel­les de loin en loin, mais ceux là ne vont jamais à Grande Ville du Sud.

Athéna ne veut plus que je lui en parle. Elle n’en parle jamais. La bles­sure est trop à vif. Même ma tribu qui les con­nais­saient sont tom­bés des nues, cha­que fois qu’ils deman­daient : et X tu le vois ? Et Y ?

Quand l’été revien­dra, avec ses fêtes de vil­lage, cer­tai­ne­ment qu’il y aura des phra­ses comme “Tu deviens quoi ? ça fait un bail qu’on t’a pas vu ! C’est sympa de te voir”.

Tout se pas­sera comme si de rien n’était. Comme si Athéna habi­tait tou­jours Paris ! Elle les voyait plus quand elle habi­tait Paris !

Oui pro­ba­ble­ment que ça se pas­sera comme ça !

Mais la bles­sure res­tera.

J’aurais voulu pou­voir épar­gner ça à mes filles.