Je suis arrivée le 12 dans la nuit à la Sauvageonne. Il y avait déjà du monde et il y avait déjà eu du  ” turn over “.
Cédric était remonté seul, vu que sa fille Manuréva et ses copines étaient parties rejoindre d’autres amies à Nice. Manuréva vient de fêter ses 20 ans, Artémis me racontait au téléphone : ” Elles ne sont pas organisées, elles veulent un Piapiacar, mais personne ne part de Petite Ville du Sud, il faudrait aller à Grande Ville du Sud, mais ça ferait deux Piapiacar”  Je lui avais conseillé de regarder les bus. C’est ainsi que Cédric les avait emmené à Ajun où elles ont pu prendre un bus pas cher.

Martine est à la Sauvageonne bien sûr puis Camomille, Marine et une amie, Jolinette et une amie, et Manivelle la petite sœur. Artémis et Jérémy presque voisins qui passent régulièrement.
Si vous êtes perdus, je rappelle qu’il y a toujours le GPS en page d’accueil à droite.

Je n’ai pas fait grand chose le mercredi. Dans la nuit du 13 une autre grosse partie de la troupe est arrivée, Luc (dont l’épouse était déjà sur place, z’avez qu’à suivre), Servane et Pierre, Mariane et Cédric. D’autres, (ceux qui ne font pas le pont) devaient arriver le vendredi soir, Athéna sans Jim qui préfère faire des travaux dans leur nouvelle maison, en voiture. Coralie, Chris et Max un copain qui vient souvent par le train de nuit.

Le 14 il ne fait pas très chaud. Je suis allée voir le discours du maire et le dépôt de gerbe devant la statue de la liberté, aux premières loges au Café du Centre. Nous mangeons dehors le midi. Dans l’après midi je vais chercher Gwenaël à la gare à Petite Ville du Sud. Je le préviens qu’il y a du monde et des filles partout !

Le soir Artémis et Jérémy vont faire le repas campagnard au pied de la tour de Petite Colline. Nous devons les rejoindre pour le feu d’artifice. Quand vient l’heure de partir, nous avons peu d’amateurs. Les quatre filles sont partantes bien sûr : Jolinette et sa copine 18 ans, Marine et sa copine 16 ans. Manivelle n’a que 12 ans, sa mère et Pierre l’accompagnent et partiront avant le bal. Camomille vient aussi juste pour le feu d’artifice, Luc va se coucher. Marianne et Cédric eux vont se coucher, aucune envie d’y aller.

Les vieux, les moyens jeunes (Gwenaël et moi) rejoignons Artémis et Jérémy sur les bancs pour voir le feu d’artifice assis, tandis que les jeunes ou ados préfèrent rester debout.

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Le feu est magnifique comme d’habitude. Puis mes sœurs, Pierre et Manivelle s’en vont après une ou deux danses. Camomille est un peu inquiète car nous serons 6 dans ma voiture, je lui dis que ça ira, on mettra la plus mince dans le coffre.

Artémis et Jérémy sont restés danser un peu, mais ils sont repartis aussi car Jérémy travaille le lendemain, vers Port sur la Louvoise, leur ville.

Il ne fait pas très chaud et le groupe n’est pas top. Je danse un peu, Gwenaël n’a pas envie. Comme souvent il y a que des filles sur la piste. Vers une heure, les filles disent qu’elles fument une clope et qu’on s’en va.

À un moment, Jolinette s’approche de moi : regarde il doit y avoir un attentat à Nice : Marie D en sécurité à Nice. Je vérifie mon face de bouc. Marie D est une amie de Manuréva qui vient souvent à la Sauvageonne, je l’ai donc en amie aussi. Je ne l’ai pas vue cette année. Nous essayons de savoir ce qui se passe sur nos portables, le réseau est mauvais à Petite Colline. C’est finalement Gwenaël qui nous tend son portable, un camion fonce sur la foule, 30 morts… Sur le coup c’est encore flou, ça n’en reste pas moins un chiffre atroce. Jolinette envoie un sms à Marie D qui lui répond : ” nous avons eu de la chance “. Puis nous descendons lentement la colline pour rejoindre la voiture, Jolinette s’affole, ” il faut que j’apelle, il faut que j’apelle “. Je ne comprends pas bien l’affolement de ma nièce, puisque Marie D. est en sécurité, mais Jolinette est une ado émotive, pour ne dire un vrai bébé, donc je ne dis rien.

Elle réussit à avoir Marie D au téléphone, elle a mis le haut parleur pour les filles marchant groupées autour puissent entendre. Puis j’entends une autre voix dans le haut parleur. Affolée, rapide… Et là cela fait tilt ! Bon sang mais c’est bien sûr ! Manuréva est à Nice avec Marie D et ses copines ! J’avais complètement zappé avec tout ce monde à la Sauvageonne ! Je comprends mieux l’affolement de Jolinette. D’autant plus que 2 jours plus tôt, Manuréva avait perdu son portable pour la Nième fois.

Manuréva parle vite en temps normal mais là c’est pire que tout.

Je n’ai pas su tout de sutie le déroulement des événements, mais par bribes je l’ai su après. Elles étaient 7 amies dans l’appartement des parents de l’une d’elle. À la fin du feu d’artifice, elles se dirigeaient vers un concert qui avait lieu à un autre endroit. Elles ont entendu des coups de feu, mais n’ont pas paniqué, elles pensaient qu’il s’agissait des suites du feu d’artifice ou de pétards. Puis il y a eu un mouvement de panique : des gens leur ont crié : rentrez chez vous ! Il y a des prises d’otages (les rumeurs vont vite). Affolées, elles se sont trouvées séparées. Dans la ville depuis deux jours, elles ne connaissaient pas bien, sans compter Manuréva qui n’avait pas de portable. Heureusement elles se sont retrouvés toutes les 7 dans l’appartement (cela aurait été horrible d’en perdre une et de l’attendre). Elles se sont empressés de fermer les volets, de se barricader. Le réseau est saturé, elles peuvent appeler, mais pas être appélée, et les sms tardent à arriver.

Manuréva a appelé ses parents qui dormaient à la Sauvageonne et n’auraient appris les événements que le lendemain certainement :

- Papa, maman, si vous entendez les infos, ne paniquez pas, je vais bien, tout va bien !

Naturellement les parents ont paniqué quand même, Marianne a fondu en larmes, Cédric lui a proposé d’aller dans la voiture écouter la radio, et si on ne capte aucune radio, on va à Petite Ville du Sud.

J’ai envoyé un sms à mes filles. Souvent (je n’arrive pas à croire que je viens d’écrire ” souvent ” ) ce sont elles qui m’envoient des sms, parce qu’elles ont peur que je sois à Paris. Je leur dis juste ” Attentat à Nice “. Artémis me répond : je regarderai les infos demain.
Je me dis que comme moi, elle a du complètement zappé que sa cousine était sur place : je lui écris : Il y a Manuréva, mais tout va bien. Ma fille me renvoie un sms très énervé : Merzut ! PDBDM, je vais l’appeler. Je lui dis qu’il faut attendre le lendemain.

Athéna elle comprendra plus tard aussi, car pour elle ” Il y a Manuréva, cela signifiait ” arrivée à la Sauvageonne “.

Au fur et à mesure, Gwenaël et moi lisons les tristes nouvelles sur nos portables. Les filles montent à l’arrière, je leur demande si elles veulent faire autrement, sur les genoux, dans le coffre. Non elles veulent se coller, se serrer, se réconforter et tout le long du chemin commentent le récit de Manuréva. ” Elle avait une voix de bébé ” dit Jolinette.

Ensuite les filles sont allés se coucher dans la grange. Moi j’ai tourné dans mon lit pendant des heures sans trouver le sommeil.

Le lendemain Martine a failli avoir un malaise quand je lui ai annoncé la triste nuit de Nice. Puis elle a voulu appeler sa sœur dont le fils vient de s’installer à Nice avec sa femme et son bébé. Pour eux aussi tout allait bien, le bébé était trop pett, ils ne sont pas allés voir le feu d’artifice.

Au petit déjeuner, nous échangeons nos tristes infos. Il y a ceux qui commentent, ceux qui ne veulent rien savoir.
Martine dit : c’est égoïste mais nous sommes contents que tout aille bien pour Manuréva. Marianne dit qu’un jour où l’autre nous serons touchés de près. Mon frère est fou de rage et de colère, il dit qu’il va prendre un fusil et tuer les coupable, c’est ma fille cette fois qui aurait pu mourir, MA FILLE !
Camomille lui dit : mais tuer qui ? Tu ne sais même pas qui sont les coupables !

Je veux acheter le journal à Petite Colline, Gwenaël me dissuade : il vaut mieux qu’on ne sache rien… Il n’a pas tort, deux jours après à la Sauvageonne, je lis le journal que quelqu’un a laissé traîner, et j’e n’arrête pas de pleurer. Mais je reconnais que je préfère cela aux images, si j’avais été chez moi, j’aurais regardé les mêmes horreurs en boucle en pleurant sans pouvoir m’arrêter.

Pendant les repas il y a encore des discussions, des débats, mais les temps changent. Nous sommes de moins en moins virulents, révoltés, haineux, cherchant des coupables, des responsables… Non je dirais que le mot qui me vient à l’esprit c’est découragement. Découragés, desespérés, fatalistes, inquiets, assommés. Plus personne ne croit en Dieu, ni en la politique. ” Nous sommes en guerre ” répète Cédric. Drôle de guerre, c’est ça la guerre.
Nous sommes victimes plutôt.
Et ceux qui disent : je ne veux plus d’hommages, de minutes de silence, il faut agir ça sufit. Moi je pense que les hommages, les mintues de silence sont nécessaires et sans doute indispensables aux familles des victimes.

Hélas deuil pour les uns, soulagement pour les autres. Il faut bien vivre, on doit vivre, on ne sera plus jamais en sécurité, mais on ne doit pas y penser.

Hélas ou tant mieux le week-end s’est bien terminé avec un chat délo mémorable, des batailles d’eau et une boum à la piscine. Les jeunes sont toujours là pour remettre de l’animation… Et nous rendre nos sourires, même si ils sont un peu amers.

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nb : malgré la signature je n’ai pas trouvé d’infos sur l’auteur de ce dessin, si vous avez des infos pour le crédit je suis preneuse.